Le regard prend un temps à comprendre ce qui l’attend dans cette exposition. Seuls cinq tableaux ont été accrochés aux murs. Cinq tableaux de modestes dimensions, campés avec aplomb sur les murs blancs de 40m cube.

Surprise donc ; nous ne sommes pas habitués à tant de dépouillement. Il n’y a aucun truc ni astuce, l’artiste a tout simplement décidé de prendre le risque de la simplicité. Du moins est-ce le sentiment qui vient spontanément à l’esprit. Parce qu’en fait, la scénographie est un tantinet plus complexe : une porte a été changée, puis repeinte en vert pastel, couleur que l’on retrouve à la fois sur l’une des toiles et à plusieurs endroits mélangée au blanc qui recouvre les murs. Une fois remarquée, cette excentricité fabrique quelques questions, perturbe et ralentie un peu la visite mais en définitive ne change pas grand-chose à ce qui se présente à nous. De petites gouaches aux couleurs mâtes et crayeuses, dont le sujet est figuré à l’aide d’une trame unique ayant invariablement le blanc pour composante.

Loïc Raguénes dégrade minutieusement ces images à l’aide d’un logiciel avant de les peindre. Le procédé est bien connu ; de loin l’image apparaît sans effort, de près elle se brouille comme l’ébullition d’une casserole d’eau brouille la vision de son contenu. Nous sommes donc forcés, invités à nous déplacer et à arpenter l’espace pour en tirer le maximum. De loin en proche, l’image joue avec nous, les bras dans le dos, le nez en avant, claquant des talons, s’approchant et reculant tantôt vivement tantôt mollement… sans que l’on puisse réellement y faire quoi que ce soit ces œuvres nous donnent l’air stéréotypé du Connaisseur qui cherche à déterminer quelle est la meilleure distance pour apprécier les peintures. En elles-mêmes, les images semblent avoir été choisies sans contraintes ni tentation du goût. Pourtant, elles flirtent toujours avec l’histoire de l’art. L’exposition est parcourue de réminiscence que nous connaissons plus ou moins bien : Zurbaran, Sérusier ou encore Victor Hugo voisinent avec le Château de Joux que recouvre une projection du film de Robert Bresson Pickpocket. Dans un coin, Apples fait un clin d’œil à Cézanne, en face le château de Chenonceau est réduit à la poignée de Cercles Verts que forment ensemble les arches et leurs reflets dans l’eau, la mer qui est aussi présente se signale par une Entrée du port chatouillante à l’égal une esquisse sur un motif impressionniste.

La balade du conservateur continue. Et cet artiste, ne se plaisanterait-il pas un peu de nous à faire des peintures sur carton qui gondolent, à tester nos connaissances, à perturber le regard de farces, d’attrapes. Raguénes ne se donne pas facilement, il sème de partout des motifs pour ceux qui voudraient se disperser ; pour avoir accès à sa peinture il faut sortir de soi. Il faut du temps, il faut aimer sauter à cloche-pied.