L’exposition consacrée à Jesús Rafael Soto au Centre Pompidou rappelle aux visiteurs à quel point le travail de l’artiste est plongé dans l’esthétique des mires, et avec elles toute l’imagerie un peu raide que l’on associe volontiers aux années 1970. Pourtant les œuvres de l’artiste s’opposent à toute immobilité, quelle qu’elle soit. Elles sont pleine de jeux de superposition qui perdent l’œil, l’obligeant à gicler de côté à chaque fois que l’on tente de l’arrêter en un point. Cet esprit de savonnette, l’artiste le gardera toute sa vie, et jusque dans ces dernières réalisations il s’amusera à perdre les regards, les fausser et les ouvrir à de plus amples modes de perception.

Deux grandes œuvres marquent l’exposition. Le sol de la première salle est recouvert d’une prairie noire aux reflets rouges. Extension (1989), constituée d’une multitude de tiges raides et fines, plantées en rangs serrés sur un socle blanc d’une dizaine de mètres carrés. Lorsque l’on s’en approche, la structure s’anime comme par enchantement ; c’est en fait notre regard qui joue avec l’enfilade des tiges, créant des percées dans la surface hérissée. Percées qui vibrent et se déplacent en même temps que nous nous déplaçons aux pourtours de l’installation. Les tiges, qui nous arrivent à mi-genoux de hauteur, ressemblent en frémissant à de jeunes pousses de blé parcourues par un vent de printemps.

Cette agréable sensation se poursuit avec le Cube pénétrable de 1996 disposé dans la seconde salle de l’exposition. Le procédé est sensiblement le même, à la différence que cette œuvre n’occupe pas une surface mais un volume. Ses tiges sont suspendues par le plafond et trainent jusqu’au sol de sorte à former un épaisse forêt colorée que l’on peuvent pénétrer un par un les visiteurs. Une fois à l’intérieur, on s’y trouve comme dans un champ de maïs peu avant la coupe, le visage complétement enveloppé par les feuillages, et le corps de partout entravé dans ses mouvements. La souplesse des tiges permet néanmoins d’avancer dans cette demi-aveuglette qu’imposent les rangées obstruées par la végétation. Or, de même qu’il est particulièrement malaisé de vouloir prendre un chemin de traverse dans un champ planté de maïs, il est compliqué d’avancer ici en diagonale. La stricte orthogonalité du plan des tiges impose un parcours rectiligne à ceux qui veulent faire de grandes enjambées. Les autres peuvent le mouvoir comme ils le veulent, ou presque.

L’œuvre fait la promotion de la lenteur ; appréhendée avec souplesse, elle invite même à s’y déplacer les yeux fermés pour mieux encore profiter du cliquetis des tiges qui se bousculent entre elles. En entrouvrant légèrement les paupières, on peut ainsi percevoir leurs reflets qui se déploient tout autour de nous pareils à une une aurore boréale.