Deux figures d’or et de chairs, presque à échelle un se regardent. L’une est déployée, vieille et noueuse comme une ragosse. L’autre est à genoux, enroulée en hélice. Elle lève son regard vers la première, son père, armée d’un long couteau. Le vieil homme n’hésite pas, c’est presque s’il sourit pendant que son bras, précis et élégant, vise la jugulaire de l’offrande. Elle, tout jeune homme, a le regard de l’agneau niais. Abraham est sur le point de sacrifier son fils Isaac. Dans un instant, il sera arrêté in extremis. Coup de chance, il sera moins une, le vieillard aurait perpétré l’irréparable. L’histoire est moche, mais fondatrice. Sa représentation dans la sculpture de Johann Georg Pinsel est presque aussi belle que le mythe est idiot. L’artiste va à l’essentiel, toute la sculpture n’est qu’un immense geste souple, quasi amoureux. Rien ne vient le perturber, ni le pauvre agneau qui, finalement, prendra la place d’Isaac, ni l’ange qui suggèrera à Abraham la substitution. L’œuvre est construite comme un mouvement continu vers Dieu, la foi et la confiance, l’au-delà et le Père Éternel. Tout concourt à ne voir en la mort de l’enfant qu’un anodin passage – si peu de chose.

Le hasard, aidé par l’indifférence des autorités ukrainiennes, a voulu que l’œuvre souffre. Le grand âge s’accompagne de courbatures, d’arthrose et de gerçures ; toutes les mains de la sculpture ne sont plus que des moignons de doigts mangés par les mîtes et les engelures. Abraham n’a qu’à bien se tenir.

Plus loin, Samson tuant le lion, est représenté de manière bien plus massive. L’homme ouvre la gueule du lion qui se débat à terre. Ses muscles saillants répondent aux boucles qui ornent son crâne. Tout bout en lui, son regard lance des éclairs, il harangue, éructe de plaisir, pendant que la langue du lion – étrangement longue, et seul élément à ne pas être dominé – se dodine dans sa direction. Le morceau de chair pointe la poitrine du héro, laissée nue par son vêtement en mouvement.

À côté de ces sculptures à taille humaine, huit petits saints, anges et personnages bibliques, sont placés dans une boîte en verre. Ces esquisses en bois et recouvertes de plâtre pourraient avoir été sculptées par un artiste moderne. Elles sont pleines de facettes, d’angles et de creux, elles gesticulent comme des robots, pour peu on oublierait leurs figures humaines pour ne plus y voir que des roses des sables. Le sentiment est un peu le même face aux trois angelots accrochés haut sur le mur adjacent. Ventrus comme des cochons de lait, se tortillant pour notre plus grand plaisir, ils n’existent plus que par leur tronc. On dirait des saucisses, ou du boudin blanc. Qu’importe, d’ailleurs, et c’est peut-être là que se trouve concentré tout le sel de la sculpture baroque, sa liberté d’évocation.