Dans l’exposition en cour, l’Espace Topographie de l’art est envahi de corps. Des corps souvent anonymés, parfois sans tête, coupés en deux, remembrés et déguisés par le photographe et son appareil. Mais ici point de charnier, l’accumulation ne fait pas masse, bien au contraire, elle trace, en pointillés, une filiation dans le regard qui va dans le détail, dans l’interstice entre le visible et le reconnaissable. Le corps n’y est pas tenu pour vraisemblable.

Le premier artiste de cette exposition de groupe est John Coplans. Toute son œuvre tient dans l’espace en gros plan qu’il crée entre son corps et son objectif. Feet crossed montre ses deux pieds croisés, l’un est délicatement monté sur l’autre, et tous les deux sont disposés sur un fond de talc blanc. Leur peau est parcheminée, leurs ongles fatigués, vieillis par le temps et les coups, les poils sont en bataille, peu nombreux. Dans cette image, l’homme d’âge mûr est fragile ; sa position ambiguë, qui fait penser à celle d’une ballerine en apprentissage, lui donne du retrait, de l’humilité. En leur intersection les deux pieds forment un angle presque droit, une gorge que les orteils rangés les uns contre les autres bordent d’amusantes collerettes. Pour Torso front, l’artiste étire son ventre pour le dresser comme une colonne qui débute au niveau de l’aine, et remonte en ondulant jusqu’à sa gorge débutante entourée par les aisselles. Dans son mouvement, il déplie toutes les chairs et laisse apparaitre l’irrégulière implantation de sa pilosité. La partie basse de l’image est marquée par le sourire en berne de son nombril, bordé, à sa gauche, par  une cicatrice que l’on devine ancienne. De cette image, comme de la précédente, on ne voudrait rien toucher, et pourtant c’est bien à la dimension tactile, presque sculpturale que nous rapporte ce travail. Le fond blanc qui occupe invariablement les espaces laissés vacants par le corps participe de ce sentiment, ce blanc poudreux est celui des carrières de marbre, de l’atelier du sculpteur.

Trois vitrines présentent horizontalement huit petites photographies de Miroslav Tichy. Huit photographies pour huit femmes. En les prenant, l’artiste nous les donne totalement, avec toute la vérité de leurs chairs, de leurs regards maussades et de son désir à lui. Quand les fesses sont molles, elles le sont vraiment, quand les jambes plaisent elles deviennent de véritables objets de phantasmes. Les tirages ont beau être jaunis, grisonnants et avoir été découpés à la hussarde, ils n’ont pas d’âge. Parce que le regard de l’artiste n’en a pas. On pourrait presque dire que ce ne sont pas des photographies que nous avons devant nous, que seul l’artiste parvient à les voir, nous, nous le voyons lui, regardant ses images.

Face au travail de Catherine Rebois on peut se poser le même type de question. Que voit-on de l’image ? Cette question, l’artiste la rend visible. Dans l’une des photographies de la série Encorps, deux jambes masculines se dressent de tous leurs muscles et se rejoignent pour former un fessier qui ferme et termine le corps. Le reste est plié en avant, de lui n’apparaît que deux mains qui pendent au niveau des mollets. Tout en haut du dos, la colonne vertébrale forme une crête. La photographie pourrait s’arrêter là mais, en son milieu, une ligne noire vient la couper et la disjoindre en deux parties. Ce faisant, elle pousse le regard à, lui aussi, se séparer en deux, s’ajuster et travailler avec l’image. Ce que l’on voit n’est plus le corps mais la construction du corps, la construction du regard que nous portons sur sa nudité, sur lui et sur l’acte de l’artiste qui le pousse en avant et montre ses fesses.