Que se passe-t-il à ras du sol ? Quand on se trouve tellement proche de la surface que l’on finit par faire corps avec elle, que toute perception n’existe plus qu’à l’aune de ce seul élément, et que toutes les dimensions se contractent en une seule. On touche alors avec les yeux. Les images se mettent à ne plus avoir d’existence que tactile. On tâtonne, du front, lentement dans le solide qui nous fait face et qui finit par nous englober. On croit un instant étouffer.

Les petits totems que Thibault Hazelzet construit et dispose en désordre dans ses photographies ne sont pas éclairés. On les découvre en buttant dedans – d’une œuvre à l’autre – comme sur des morceaux échoués dans un recoin d’océan. Ces figures, ces monticules minuscules et leurs ombres, voguent à touche-touche tel un banc de méduses lesté au fond d’une épave. Ce n’est pas par l’épiderme que l’on fait leur connaissance, mais par les seuls quelques centimètres carrés de cornée de nos yeux. Ces totems, un peu modernes, un peu africains, semblent se mouvoir en même temps que nous nous déplaçons. Et dans le même mouvement, ils déplacent toutes notions de temps et d’espace. Impossible de savoir s’il on est devant ou derrière. Leurs couleurs mêmes sont trompeuses, elles n’existent que parce qu’elles sont couvertes par la fausse lumière que nous y projetons. Elles sont pareilles aux regards hallucinés renvoyés par les animaux nocturnes quand ils croisent les phares d’une automobile. En les regardant, leurs couleurs vieillissent instantanément. Elles ne sont que mémoire ressuscitée, aussi improbables que fausses, aussi implacable que vraie. Et pour quelle texture ? Quel toucher ? La réponse a du mal à émerger.

Dans La Parabole des aveugles #8, un morceau de solution apparaît sous la forme d’un câble, un câble poussiéreux et long comme une ligne d’horizon. On s’y accroche à cette ligne, à ce leurre. Il a quelque chose de vivant, quelque chose d’incongru, qui donne une limite à cet espace. De là s’ouvre la possibilité d’explorer, de s’imaginer un périmètre carré, une carte. Possibilité qui est rapidement contredite par l’ensemble de la parabole. Aveugle, on longe la rampe. Mais au bout ? Au bout, il n’y a rien. Ce morceau d’horizon que l’on avait pris pour le signe d’une surface n’est en fait qu’un trapèze suspendu en plein tableau.