La juste mesure de l’homme, telle pourrait être la raison de l’impression de perfection qui colle à l’œuvre de Raphaël. Une justesse non revendicative, vraisemblable, simplement oculaire, comme si l’artiste permettait, sans le dire, de pouvoir s’observer de l’extérieur avec ses propres yeux. La chair, ses articulations et son grain, c’est par cela qu’il faut se laisser emporter.

La Montée au Calvaire (1515-1516) est un véritable enchevêtrement de personnages. S’y croisent des hommes debout, entourés de femmes renversées, des hommes à cheval et d’autres à genoux, tous concourent de près ou de loin au drame qui se joue. Au pied du tableau, le corps du Christ, à bout de forces, effondré et appuyé sur un petit rocher, forme avec la vierge Marie un douloureux dialogue. Sur les épaules du Christ se trouve la croix, et juste au-dessus, exactement au centre du tableau, dans un triangle construit entre elle et l’épaule de Marie-Madeleine, se distingue un espace de silence. Un espace en retrait, un soupir où, côte à côte, le bras gauche de Simon de Cyrène et la cuisse d’un garde positionné dernière se répondent verticalement comme par un jeu de miroir. Dans l’intervalle, l’espace châtain et sombre qui apparaît semble être une faille, une ouverture bordée par les chairs musculeuses des deux hommes. Cette faille, cette crevasse matelassée, œil divin, ouvre dans ce capharnaüm l’hypothèse d’une voie de secours, un petit passage par lequel le regard peut s’enfuir. Elle est juste sous le nez de l’observateur, que la perspective utilisée par Raphaël place quasiment dans la scène. Il n’y aurait qu’un pas à faire pour prendre place parmi la foule. Mais, du moment que l’on perçoit cette faille, l’œuvre redevient une surface, un écran, symbole du drame de l’incarnation.

Portrait d’Andrea Navagero et Agostino Beazzano, (1516). Deux hommes se font face. Amplement drapés de tissus et d’étoffes foncées, plongés dans une nuit qui ne semble pas assombrir leur visage ; de leur surplomb, ils nous observent. Leurs regards divergent et nous troublent, si l’on décèle immédiatement la connivence entre les deux modèles, on ne parvient pas à comprendre l’objet de leur dialogue. C’est comme si nous venions d’interrompre une conversation dont nous ne pouvons entrevoir la portée. L’un et l’autre sont totalement différents dans leur morphologie. L’un est robuste, barbu et mat de peau, l’autre a la mâchoire étroite, les yeux globuleux, un double menton et le teint clair. Mais malgré ces dissemblances, ils sont tels deux frères, deux frères d’estime qui nous observent du coin des lèvres, sûr d’eux-mêmes, et de leur supériorité.