L’exposition Michael Werner au MAMVP est celle du goût d’un homme, de son goût et de ses engagements. La progression qu’il opère sur le xxe siècle est en tous points admirable. Tout d’abord francophilie, le collectionneur arpente une plage qui va de Derain à Picabia – le grand saut pourrait-on dire, mais la cohérence de ce duo s’enracine durablement dans les choix des cadets des deux artistes.

Toute cette ambivalence se retrouve dans le Printemps de Picabia. Cette peinture représente un homme, tout sourire et torse nu, assis dans les herbes folles d’une prairie remuée par le vent, il est accompagné d’une femme enveloppée dans un drap de bain qui ballotte dans l’air marin. Leurs chevelures très animées sont secouées dans le ciel bleu sur lequel elles s’inscrivent. Leur insouciance, bien appuyée par l’artiste, ne permet pourtant de voir ni leurs yeux ni leurs regards. Par contre, le très grand sourire du jeune homme laisse apparaître une dentition parfaite, blanche et étincelante. Il en va de même de son torse musclé, ainsi que du galbe des cuisses de son amie. Tout est léger, tout va pour le mieux dans cette image épaisse comme une croute d’atelier.

Plus loin dans l’exposition, une petite salle est occupée par des dessins d’Otto Dix. Parmi ces feuilles jaunies se trouve une tête de palmier. Il ressemble à un demi-oursin, toutes piques dehors, régulier et à la fois follement arrangé, dans tous les cas il n’a plus de tronc. La Côte d’Azur est là, elle pique, elle se noie, aussi.

La collection comporte aussi un important ensemble d’œuvres de Markus Lüpertz. Männer ohne Frauen. Parsifal, est l’un des thèmes que l’on retrouve à plusieurs reprises dans ces grandes toiles aux tonalités sombres et coupées. Au centre de l’une d’elles se trouve un os rouge pris dans une structure tubulaire ressemblant à une grue de chantier. Elle-même est inscrite dans un champignon beige foncé, puis dans une grille noire griffée orthogonalement. Tout autour, un damier alternant gris-bleu et vert termine le tableau. Par-delà l’impression d’avoir été hâtivement et grossièrement peinte, cette œuvre renvoie très violement à la condition masculine. Il y a, dans cette superposition de murs et de filtres rêches et blessants, toute la dualité entre le corps qui protège et le corps qui pèse. Or, ces œuvres représentent des visages, des visages muselés par leurs structures mêmes.

À la fin de l’exposition, on découvre les sculptures d’Otto Freundlich. Ces Composition sont de grandes tailles, imposantes sans être monumentales. Parfois en forme de champignon, parfois en forme de tête, leurs formes organiques évoquent une inflorescence juste avant le moment d’éclore. De près, elles semblent être constituées de chewing-gums collés côte à côte, ce qui leur donne l’aspect de ces petits monuments que fabriquent les enfants avec les résidus récoltés dans les cours d’écoles.