Marquer de ses doigts la texture d’une mousse isolante est comparable à la satisfaction que l’on ressent en éclatant les alvéoles d’une feuille de papier-bulles. Nés sous ces marques, les signes apparus forment entre eux une archéologie du plaisir. Tel est le constat de départ de l’œuvre de Rudolf Stingel. Il y a d’abord la surface métallique, dorée et extrêmement fine. Il suffit d’une pression affirmée pour la transpercer d’un coup sec. Puis vient l’épaisseur de la mousse elle-même. Les doigts s’y enfoncent aisément au début, traçant sans difficultés des sillons, mais plus on essaie de l’écraser, plus la texture se densifie. Rapidement on se rend compte qu’il est quasiment impossible d’enfoncer cette faible mousse au-delà d’un centimètre de profondeur. Cette limite, cette trop rapide frustration, agit comme une invitation à tracer des cicatrices plus franches, plus vives, la joie de s’inscrire dans la surface de l’œuvre n’en étant que plus forte.

Mais qu’inscrire ? Rudolf Stingel semble n’avoir cure de la réponse.

Tel Brassaï avant lui, il laisse aux passants le soin de s’épandre. Il en résulte un ensemble de tableaux dorés que l’artiste a fait fondre une fois les panneaux d’isolation recouverts de graffitis, déchirés, raclés et raturés au point d’être souvent rendu illisibles. Coulés dans le métal, ces mots d’amours, ces petits cœurs, ces empreintes de mains d’enfants et d’adultes, témoignent anonymement des contingences que la vie répartit un peu partout autour de nous. Ainsi, malgré leur aspect clinquant, ces œuvres sont profondément humaines, elles sont la chair que nos ongles sont venus fouiller. D’ailleurs les traces en témoignent, elles sont principalement situées à hauteur d’homme, juste au milieu des panneaux, soulignant à jamais l’origine de ces signes conditionnée par la taille de leurs auteurs.