En 1939, Max Ernst peint Les Peupliers. Loin de Paris et de la débâcle, l’artiste donne une image de la guerre qui approche et pétrifie tout sur son passage. Car ce n’est ni la guerre des politiciens, ni la guerre des soldats, mais la guerre vue depuis le bord des routes qu’il peint. Il peint la guerre de ceux qui n’ont rien demandé et qui se trouvent là quand elle arrive. Dans ce tout petit tableau, deux arbres se dressent, parallèles mais dissemblables, complètement aveugles, bruns et délavés par la même sécheresse. À leurs pieds, le sol vert coule et se ravine, il tend à disparaître et se dissoudre, laissant déjà nues les racines du second peuplier. Bientôt, elles seront totalement à l’air libre, le sol qui était le leur aura disparu et ces deux arbres, tels les sapins de noël posés dans la rue aux premiers jours du mois de janvier, coquilles vides de sève, seront morts depuis longtemps.

Plus loin, un peu plus tard aussi, les natures mortes de Picasso concentrent toute la douleur de l’occupation. L’artiste y parvient sans misérabilisme, sans balafres exhibées, sans la honte qui ronge les visages, il n’utilise pour cela qu’un buffet et une simple Nature morte aux verres et cerises. Datée du 13 juin 1943, cette œuvre creuse l’estomac sans montrer les côtes.  Trois verres sont posés sur une petite table. Derrière, une fenêtre donne une lumière très jaune, mais sans parvenir à réchauffer l’intérieur qui lui reste gris et minéral. Au-dedans, tout est anguleux, les verres rappellent ceux peints par l’artiste 35 ans plus tôt, quand il vivait dans l’incertitude. À côté, un compotier rassemble des cerises, elles sont bien rangées, alignées comme des rations, mais leurs queues, démesurées en rapport avec la taille des fruits, prennent toute la place.

Un an plus tôt, l’artiste peignait L’Aubade. Une femme est allongée sur une méridienne, son corps est bronzé, tanné et sinueux, fantasmé comme celui d’une amazone offerte. À ses côtés est assise une autre femme, elle, est tout en arrêtes, blanche, froide et rayée. Son regard vide, pris dans le triangle de sa face n’entraîne plus ses mains sur l’instrument qu’elle tient. Pourtant elle sourit, c’est un sourire las mais sans aucune ironie, le sourire du temps qui s’arrête, givré par l’ennui presque aussi mortel que la guerre elle-même. Au sol, de l’autre côté de la pièce, un cadre doré traîne au sol. Lui aussi est vide, son miroir s’est cassé et l’image qu’il renvoyait à disparue. Ne reste alors que le fantasme et l’attente.

Les dernières œuvres de l’exposition forment un assemblage de quinze petites sculptures de Giacometti. Parfois soclées, parfois simplement montées sur un pic, les bustes et les têtes, les hommes et les femmes, en bronze ou en plâtre, vieux, jeune, de toutes tailles, modestes, toutes prennent la lumière leur parvenant de l’avenue du Président Wilson.