De tous les espaces d’exposition de la treizième Documenta de Kassel, ce sont ceux de la Bahnhof qui sont les plus riches en surprise. Peut-être est-ce la proximité des voies ou bien l’absence d’échoppes à souvenirs, mais ici plus qu’ailleurs les œuvres parviennent à élever leurs propos au-delà des clichés et des démonstrations.

Le travail de Rabih Mroué est à cet égard absolument éclairant. Par-delà le sujet, par-delà son engagement, l’artiste se saisit de l’exemple syrien pour rendre visible l’aspect unilatéralement médiatique des guerres aujourd’hui. Il fait pénétrer le visiteur dans une salle plongée dans le noir uniquement éclairée par la lumière de vidéos qui défilent. On y voit des morts et de la souffrance, on y voit tout ce que les médias savent si bien dramatiser et mettre en scène. Pourtant, à mesure que l’on s’habitue à cet environnement le doute commence à s’immiscer, certaines ficelles deviennent trop visibles, l’ouverture de focale que l’artiste permet sans l’imposer créée une ambivalence, une méfiance chez l’observateur. Et c’est bien de cela qu’il s’agit, le visiteur devient observateur, le drame syrien n’est plus un consommable.

De toute autre manière, les photos, vidéos et dessins au charbon de bois de Kudzanai Chiurai évoquent la violence en Afrique, une violence où se mêlent armes à feu et évocations magiques, maléfiques, redoutables et ancestrales. Il y a quelque chose d’éminemment exotique dans cette vision, le regard de l’occidental y est presque flatté, en terrain familier, et pour cause, c’est aussi de lui dont il est question, sa trace y est omniprésente. Face à Creation, on ne peut s’y tromper ; la composition de cette photographie évoque immédiatement une Cène même si l’on voit bien que ce n’en est pas une.

La vidéo Pageant Roll de Jessica Warboy quitte ce genre de sujet, mais elle en conserve une part de mystère. On y voit une colline d’où l’on entend dévaler le vent au milieu des buissons et des rochers. Au-dessus, le ciel et ses nuages sont immenses, une main tient un œuf de couleur, des pierres dressées en cercles sont le théâtre d’un étrange mouvement, des objets, sculptures emportées par l’artiste, se logent entre les failles et les élévations. Cette procession empreinte de paganisme ne livre aucun secret, mais affirme à qui l’observe qu’elle en recèle d’innombrables. C’est un peu le même type de secret que l’on voudrait percer en regardant les Sea paintings de l’artiste. Ces œuvres créées par l’action du remous des vagues ne sont que mouvements colorés. À leur surface, on ne trouve pas de signes distincts, pourtant cette gestuelle maritime éveille le souvenir d’autres histoires, des histoires oubliées.

Secretion, vidéo de Willie Doherty, raconte une contamination. C’est le récit d’une eau, d’une forêt et de toute une végétation qui progressivement devient malade. La contagion est apportée par un homme qui rien ne prédestinait à ce rôle, un homme simple et inoffensif qui en niant le problème va le laisser s’étendre. La vidéo dure 20 minutes. À son terme, elle n’a apporté ni conclusion ni promesse catastrophique ; Secretion est mal latent que l’on observe totalement désarmé par le doute qui nous habite.