La première impression en pénétrant dans l’exposition Minimal Myth du musée Boijmans van Beuningen de Rotterdam est celle de se trouver dans un espace lunaire. L’espace est vaste, presque sans aspérités, les quelques objets qui ont été disposés là ont l’air d’être le fruit de l’érosion et du temps. Tout y est blanc, les cartels des œuvres sont discrets, il n’y a aucun bruit, on se sent légérement déboussolé : quel plaisir.

Launching rockets never gets old de Raphael Hefti apporte néanmoins un peu de couleurs. Les deux grandes plaques de verre teinté – presque trois mètres de haut – posées à moitié sur un mur et une fenêtre, reflètent le visiteur autant qu’elles laissent passer l’extérieur, une partie est sans teint, l’autre est presque un miroir. L’œuvre est ici une interface visuelle pour l’environnement de l’observateur qui s’y voit comme un fantôme dans un halo iridescent violet, vert et rouge.

L’œuvre voisine, Untilted (right angle) de Larry Bell, fonctionne sensiblement de la même manière, la couleur en moins mais en ajoutant à l’expérience la possibilité d’une multiplicité d’observateurs indépendants les uns des autres. La sculpture consiste en deux plaques de verre grisé disposées en angle droit. En s’y plongeant le rapport à l’espace est bouleversé, une fois dedans notre regard devient captif, on perd complètement le nord de la gauche et de la droite, l’avant de l’arrière. Mais l’œuvre est un espace clos, dès que l’on élargit le regard – un pas en arrière suffit –, l’œuvre redevient un morceau de verre avec ses propriétés propres.

Plus loin, de grands lés de feutre pendus à un mur forment au sol un angle droit dirigé vers le visiteur. Untitled de Robert Morris associe un sentiment de pesanteur avec celui d’une reposante douceur. Ce filet minimaliste, hamac Beuysien, est si tentant que l’on doit se retenir d’y faire un petit somme. Juste à ses côtés, une sorte de niche recueille Untitled (slope) de Kilian Rüthemann. L’espace semble avoir été creusé (ou comblé( pour former une pente raide qui va des pieds du visiteur à mi-hauteur du mur ; au-dessus, l’espace est laissé vide. Pour comprendre ce qui s’y trouve, il faut s’approcher au plus près de la pente. En fait rien n’a été creusé ; l’artiste n’a fait que déverser du sel dans la niche pour donner l’illusion du plein, mais il suffirait que l’on touche la pente du bout du doigt pour que l’on y déclenche une avalanche faisant apparaître des sillons : l’œuvre est à la merci de chacun.

En parcourant l’exposition, on retrouve fréquemment des œuvres de l’artiste néerlandais Jan Schoonhoven. Son travail est essentiellement construit de tableaux rigoureusement blancs qu’il gaufre ce qui leurs donne l’allure de ces petites maisons en bois, pleines de compartiments, où les enfants rangent les santons qu’ils collectionnent. Sauf qu’ici tous les compartiments sont vides, et absolument identiques au sein d’un même tableau. C’est un peu comme si l’artiste avait constitué une entomologie du vide.

C’est d’ailleurs à un gros insecte que ressemble l’œuvre de Monika Sosnowska. Deck est une armature métallique noire accrochée dans un coin de mur. Afin que l’œuvre puisse se loger dans l’angle droit une partie des éléments métalliques ont été enfoncés et tordus. On a l’impression que Monika Sosnowka a choisit de ranger la structure d’un lit superposé dans un espace triangulaire cinq fois trop petit pour lui, et de cette manière, de faire la démonstration formelle qu’une forme peut se plier au minimalisme sans évacuer la mémoire de son fonctionnalisme.

N’ayant pas réellement de point de départ, la visite n’a pas non plus de terme, mais l’on peut néanmoins choisir de finir par le tableau de Kenneth Noland Via Sheen. Sans surprise, celui-ci est un simple empilement de bandes horizontales. Mais ces bandes sont de couleurs pastel, douces et légèrement passées, à la manière d’une vieille photo de la plage de Santa Monica au matin.