Wim Delvoye entre au Louvre. Ce n’est pas un hasard si ce sont les objets d’art qui accueillent. Depuis toujours, l’artiste fait des modes de représentation de l’usuel le principal lieu de son travail.

Le parcours mène des petits cabinets à la grande salle à manger – deux lieux qu’affectionne l’auteur de Cloaca – et se termine parmi les tapisseries où trône une vaste Chapelle d’acier, véritable objet de torture vénale, ventrue comme une panse, acérée de milles crochets. Un peu partout, on croise les dernières œuvres de l’artiste : déclinaisons autour du test de Rorschach, sculptures fort bien produites, étincelantes, mais désertant le terrain de l’ironie qu’il occupe traditionnellement pour investir le décoratif – sujet fort à la mode et, avouons-le, parfaitement à sa place dans les salons d’apparats de l’aile Richelieu.

C’est quand Wim Delvoye détourne les stéréotypes d’objets contemporains pour les empreindre d’une esthétique ancienne qu’il atteint le mieux son but. Les quatre pneus Sans titre sculptés à la main de motifs floraux en sont le parfait exemple. Ils répondent avec justesse aux motifs des boiseries de la salle qui les présentent. L’odeur du caoutchouc se mêle à celle de l’anti-mite. Les sièges des appartements napoléoniens, si beaux, si bien conservés, mais jamais – au grand jamais – utilisés, révèlent leur vacuité aux côtés de ces pneus neufs, eux aussi condamnés à faire décoration, mais qui tôt ou tard finiront par se durcir et se fendre au contact de la lumière pour devenir cassants comme du verre. L’œuvre de l’artiste n’a pour durée de vie que celle des matériaux qu’il utilise : ceux de notre société de consommation.

Cette exposition est une mise en abîme du musée. Le vieux dans le neuf intègre du neuf, qui a l’air d’ancien, et qui – comme le reste des autres objets – devient éternellement vieux et hors d’usage.

L’artiste redevient léger quand, plus loin, Trophy, un dessus de table en bronze, figure une biche et un cerf faisant la bête à deux dos dans la petite salle à manger. Dans la grande, ce sont des Christs roulés avec leurs croix comme des anchois autour d’une olive qui couvrent toute la table. L’artiste fait référence aux nœuds de Moebius, mais la métaphore orgiaque que suggère le contexte se passe bien de toute caution intellectuelle, les banquets du prude Second Empire sont un puis sans fond pour qui cherche à nous mettre en bouche. Les visiteurs agglutinés à la balustrade qui les empêche d’avancer et de prendre place autour de la table sont dévisagés par un cochon figé dans une peau tapissée de motifs vieillots. Gentiment assise, comme s’il elle attendait son maître, la bête appuie encore un peu plus la drôlerie de la situation.