À l’étage du Jeu de Paume, Laurent Grasso a mis en place un dispositif complexe de dédoublement du regard. Le visiteur pénètre dans un couloir blanc, parcouru de fenêtres et de passages donnant sur la pénombre. Les unes et les autres s’ouvrent sur des espaces clos renfermant des peintures, des vidéos, des mots lumineux ou des objets. Certaines sont muettes, d’autre sont accompagnées de commentaires ou d’une petite musique.

À mi-chemin dans le couloir, l’une des fenêtres s’ouvre sur une vidéo presque monochrome figurant une nuée d’oiseaux. La masse volante semble ne pas savoir où elle se dirige, elle avance par à-coups dans le ciel orangé, elle gonfle à gauche, chute à droite, s’enfle, remonte et plonge dans le cadre de la vidéo comme si elle tentait de s’enfuir. Les bords de l’image forment ainsi une frontière. En face, de l’autre côté du couloir, deux ouvertures donnent sur un espace où brille en grosses lettres de néon blanc la phrase : Visibility is a trap.

Le passage suivant mène à un tableau. Un paysage dont le ciel est obscurci par une forme circulaire noire, telle une éclipse géante, retenant l’attention de trois chevaliers en armure. Puis le couloir se sépare en deux. D’un côté on découvre l’envers, ou plutôt l’endroit de l’écran, où étaient projetés les volatiles de la vidéo précédente, de l’autre : des étoiles de néons blancs et une petite vidéo de Saint-Pierre de Rome. Une autre salle, à laquelle on accède en retournant sur ses pas, montre des photographies d’ecclésiastiques en robe posant devant d’antiques télescopes.

L’exposition continue sur le même plan : les vidéos visibles par leur devant et par leur derrière, les peintures mystérieuses, les néons.

La dernière vidéo s’intitule The silent movie. L’artiste filme un paysage de bord de mer, méditerranéen probablement, dans lequel se meuvent d’imposants bâtiments de guerre. Des bateaux et des sous-marins avancent comme au ralenti dans ce paysage d’éternité où l’on distingue par endroits des fortifications à demi enterrées. La vision que donne l’artiste est très esthétique, presque romantique, la bande-son qui l’accompagne accentue cette impression. Mais, petit à petit, la vidéo se met à nous donner la nausée. Le balancement de la caméra portée par les vagues, les gestes imprécis et chaloupés de la prise de vue concourent à rendre de plus en plus physique la perception de ce paysage. Progressivement la gêne s’impose, et la beauté du ciel et de la roche calcaire, sculptée par l’architecture militaire, fonctionnelle et géométrique, ne peut rien y faire.

L’artiste nous avait prévenu : la vision est un piège, tantôt pour l’objet sur lequel elle s’applique, tantôt pour l’observateur.