La géométrie et l’art, vaste projet. Même quand il ne s’agit que d’art contemporain. De la géométrie, on peut facilement en voir partout, d’ailleurs il y en a partout. Mais la question est ici abordée de manière détournée, ce n’est pas la géométrie comme outil formel qui nous est présentée, mais ce qui l’englobe, sa mise en scène, et parfois l’impuissance des artistes face à cette omniprésence.

L’exposition s’ouvre sur trois œuvres de James Lee Byars, toutes trois conçues sur le même schéma. Trois formes en marbre – un pavé, une sphère, et un carré – aux formes arrondies, toutes enfermées dans une vitrine sur pieds comme des objets d’étude et de contemplation. Ces trois volumes n’offrent aucune prise, rien à leur surface ne les trahis, l’artiste n’a rien pu faire d’autre que de les enfermer pour les conserver.

Viennent ensuite les formes pures et anguleuses de Donald Judd. Sans titre 1986 se compose de boites métalliques ouvertes, fixées au mur, compartimentées ou non, une plaque translucide bleue dans leurs fonds : expressions d’une géométrie stricte, irréductible et éternelle. Juste à côté, Condensation cube de Hans Haacke introduit une part d’ambivalence. Le cube de plexiglas que constitue l’œuvre a un peu d’eau à l’intérieur qui, sous l’effet de la chaleur, se condense et recouvre les parois de coulures constamment renouvelées qui s’opposent à l’immuabilité formelle du cube. L’espace suivant présente Afrum red de James Turrel. Le dispositif, une lumière rouge formant par anamorphose un carré dans l’angle d’un mur, est plongé dans l’obscurité. Ici, la géométrie, aussi hypnotique soit-elle, n’est plus rien. Tout vibre, tout, même les lignes droites fixes et rigoureuses du dessin lumineux. La géométrie devient alors métaphysique.

À l’opposé de ces perceptions, l’installation de Bruce Nauman, Black stones under yellow light réintroduit une charge symbolique. La forme devient signe, de même que la vidéo Spiral Jetty de Robert Smithson joue avec les codes antihéroïques de nos mythologies modernes. Smithson court, surplombé du bruit de l’hélicoptère qui le filme en plan serré et qui ne dévoile le parcours qu’une fois parvenu au centre de la spirale. Là, totalement entouré par elle, l’artiste fait demi-tour et, sans se hâter, rentre lentement.

Le travail d’Ettore Spalletti est d’un autre ordre. Posa desu, sculptures monolithiques de couleur pastel grise et rose, ont le touché doux et poncé du stuc. Ces formes toutes simples et à la fois peu habituelles revêtent rapidement une association d’idées. La première est un cône tronqué, posé sur sa pointe, et qui fait songer à une antique baignoire, la seconde évoque des cabines de plages, légèrement penchées. Ici la géométrie n’est plus qu’une conséquence, un concours de circonstances.

L’installation vidéo de Damián Ortega, Nine types of terrain fait le chemin inverse. Neuf vidéos y montrent des dominos de terre cuite s’écroulant régulièrement dans des terrains vagues. Les dominos sont de grandes dalles, des stèles que l’on prendrait presque pour des pierres tombales ; elles s’écroulent bruyamment et forment à plat des motifs géométriques, des signes abstraits, soudainement immobilisés par l’arrêt du mouvement, sorte de Stoppage étalon mortuaire où la géométrie meurt au moment même où elle prend forme.

À la toute fin de l’exposition, la main de l’homme reprend le dessus. Les découpages de Gordon Matta-Clark, qui tronçonne des immeubles pour y tracer des formes géométriques, en sont le signe tangible, mais fragile, car peu après ces édifices seront détruits.