La grande prêtresse de l’art contemporain est japonaise. Yayoi Kusama n’avais jamais été honorée d’une grande rétrospective à Paris. Mais elle ne fera pas le déplacement pour voir les visiteurs tourner en rond dans l’espace d’exposition.

Quelques premiers travaux passés, occident et surréalisme vieillissants en ligne de mire, la visite se lance. On commence par des œuvres blanches et piquantes, qui déjà se couvrent de boucles, amorçant la spirale dans laquelle l’artiste développera toute son œuvre par la suite. Des petits ronds collés à d’autres petits ronds, une prolifération de petits ronds partout. L’artiste va accumuler le geste pendant des années, le redoubler à l’infini, forçant sa main à affronter la gestuelle des grands formats tout en lui interdisant toute ampleur et lui imposant une avancée centimètre par centimètre. Alors souvent les tableaux gonflent en pâte pour manifester cette contradiction.

Dans les années 60 le geste déborde le cadre de la toile pour aller envahir les objets du quotidien. Ce déplacement passe par l’accumulation de matière plastique et de tissus, formant ce qu’il est légitime d’appeler des phallus mous – et assez souvent laids. Ceux-ci, hérissés et pullulant ont d’autant plus d’impacts qu’aujourd’hui que, vieux et dégradés, ils incarnent dans leur matérialité même la gifle que l’artiste assène à la société machiste.

Mais tout cela l’artiste le dépasse largement en investissant la performance et le happening à tout va. L’intimité des débuts n’a plus lieux d’être, son débat intérieur s’étale sur la place publique – sexe et troubles sont exhibés. Mais tout comme l’image de l’homme fort mise à genoux par l’artiste, ses vidéos ont l’air vieillies, et leurs revendications un peu fanées quand on les regarde aujourd’hui. Toute cette fête psychédélique est datée, mais les symboles qu’elle charrie ont toujours leurs mots à dire. Yayoi ne mettra fin à l’étalement de ses obsessions qu’en rentrant au Japon après quinze ans passés à New York.

De là elle continue à produire beaucoup. L’exposition montre plusieurs des ses dernières peintures. Les couleurs y sont hyper-vives, les petits points caractéristiques, partout, mais l’allant des débuts n’est plus là. Est ce le physique de l’artiste qui se dégrade ou l’habitude qui s’installe, impossible à savoir, et qu’importe, l’œuvre est totale. On le comprend dans les deux environnements exposés. Ils donnent un peu de légèreté à la visite. Dans Dot obsession. Infinity mirrored room, 1998 l’odeur du plastique, presque plus présente que ne le sont les poids, donne un petit air d’ustensile de plage à l’ensemble. Et donne envie de gambader parmi le rouge et le blanc. Puis vient Infinity mirrored room (filled with the brillance of life) avec ses jeux de points lumineux reflétés à l’infini par des miroirs. L’œuvre est toute simple et le principe du palais des glaces connu de tous, pourtant on s’y attarde, il n’y a là, aucune raison de bouder son plaisir.