L’historique d’une collection est un exercice attendrissant quand il souligne les hauts et les bas de ceux qui l’ont constituée. C’est tout autant que l’on aime s’entendre conter l’histoire par ceux qui l’ont faite, que voir la fin des dynasties réduites à leurs bijoux de familles. Les Stein sont de ceux là. Ils auront acheté, voulu et su acheter. Mais ils ont aussi vendu pour racheter, tenter de rester sur le haut du pavé sans réussir à ne pas disparaître avec leur temps.

Les premières salles mêlent agréablement chefs d’œuvres indépassable et plus petites réalisations. L’exposition regorge tout particulièrement de dessins, mais aussi des œuvres de Cézanne par poignées, une foule de trésors, et parmi eux Picasso, dont le merveilleux Meneur de chevaux laisse muet quand on songe qu’il orna un jour un couloir. Matisse est l’autre géant de ce panthéon de la modernité. Les portraits du Salon d’automne, braillards, terribles, tirent à eux toute la couverture depuis plus d’un siècle, et encore ici. Le tout baigne dans l’intimité de la famille Stein. On la retrouve de manière éclatante dans la petite salle qui regroupe les dessins de Matisse et Picasso – les préférés – avec les portraits que ceux-ci feront de la famille Stein.

La suite de l’exposition est partagée en deux. Les salles du haut sont pour Michael et Sarah, celles du bas pour Gertrude. En haut on trouve donc une myriade de petits Matisse, et rien que des Matisse. L’engouement du couple pour l’artiste est sans faille. L’exposition les montre à ses côtés au quotidien, eux qui collectionnent ses découvertes et ses avancées en même temps qu’il les expérimente. Et puis tout au bout Le thé dans le jardin vient couronner ce travail. Sans rature et couvert de verts ombrageux, ce tableau respire le travail accompli. À proximité deux portraits que l’on a séparés, Michael et Sarah Stein. Impossible de savoir ce qu’ils font l’un sans l’autre.

En bas règne Picasso, dont le fameux portrait de l’écrivaine, mais aussi tout ce que l’artiste a donné d’ésotérisme à son cubisme. Et ce n’est pas tout, puisqu’assez tôt Gertrude n’a plus pu s’acheter les Picasso qu’elle aime tant. On trouve donc quelques uns de ses remplaçants. Notamment Juan Gris dont les fabuleux Livre et verres et Fleur tiennent la dragée haute au maître des lieux. Il y a aussi des surprises, comme le Panier de fraises de Pavel Tchelitchev, ou l’amusant Spahi et son cheval de Balthus. On voit bien que la collectionneuse se remet tout le temps en question dans sa collection, elle est sûre de ne pas avoir peur. Pourtant, que dire du Portrait qu’en fait Picabia ? Il est recouvert de rides noirs et de craquelure qui laissent apparaître le rouge de la couche picturale inférieur. La vieille dame qui pose a la mine de sa jeunesse, mais elle ne lui ressemblera plus jamais.

Dans cette exposition l’art moderne se raconte dans ce qu’il a de plus vif, de légendaire, de Bohême et parfois de tarte à la crème. La grande histoire et la petite vont ensemble sans complexe. De toutes manières, en ce qui concerne la modernité, le meilleur comme le pire sont derrière nous.