L’exposition s’ouvre sur Le Baiser de 1897, soit deux têtes se fondant l’une dans l’autre dans une torsion de corps souple et vivace. Un tableau qui résume à lui seul l’artiste et son pouvoir sur le public. C’est cette vision adolescente de l’amour fou et de la passion sans concession à l’autre que l’on vient chercher. Et elle est subtile, car les deux personnages ne se font pas face, la jeune femme décale son ventre de trois quart par rapport au torse du garçon. Sous peu elle s’en ira – on le devine. Dès lors le visiteur n’a plus qu’à découvrir chaque autre œuvre comme autant d’épisodes d’une saga télévisée.

Les deux premières montrent chacune une version de tableaux célèbres, tout d’abord les tableaux initiaux puis leurs reprises. L’effet est saisissant, rien ne s’efface, l’artiste est comme face à ses constantes. On ne peut que soupeser les variations, parfois le second tableau est plus petit (Les jeunes filles sur le pont), parfois il est plus grand (Le vampire), dans presque tous les cas ils se font plus vifs, plus colorés. C’est formidable ce que cet exercice de scénographie est un bon support à l’expression des fantasmes. De là, toute l’exposition se déploie. À commencer par une salle entière de Femme en pleurs. Une procession de femmes accablées qui vient faire justice à l’homme meurtri mais rabaisse un peu l’artiste. Car l’exposition n’est pas faite que de chefs d’œuvres. Parmi les drôles de surprises La bagarre, grotesque et presque caricaturale, est une énigme. Pour peu on aurait envie de prendre un feutre et y ajouter une bulle pour y inscrire Bim! Bam ! Boum !

La justesse d’Edvard Munch est d’avoir su peindre sans patte ou presque,  c’est dans ses gestes fluides que se passent le plus de choses, c’est là qu’il s’écarte de la narration pour plonger le romantisme dans la modernité. Cette synthèse trouve l’un de ses plus grands exemples dans « L’Autoportrait entre l’horloge et le lit, » dernier tableau de l’exposition.

D’ici là les visiteurs sont invités à découvrir les photographies de l’artiste. Elles ressemblent à tant d’autres, mais elles ont l’avantage de fournir un propos à l’exposition. Une astucieuse parenthèse dont le point d’orgue est le petit film tourné par l’artiste et qui bénéficie d’une salle pour lui tout seul. De quoi donner du grain à moudre à ceux qui connaissaient déjà les tableaux mais qui voulaient leurs parts nouvelles d’intimité dans la biographie de l’artiste.

De la sorte les commissaires avaient certainement songé démystifier un peu le personnage – le noir et blanc en 10×15 sachant calmer les ardeurs. Mais d’une manière ou d’une autre il est impossible de vraiment faire l’impasse sur la légende qui entoure l’artiste. C’est une palissade avec un fossé, des meurtrières, et leurs gardes armés. Dommage pour ceux qui ne regardent pas la télévision.