Auguste Rodin a depuis longtemps acquis le titre de monstre de l’art moderne. Un piédestal majestueux dont on se plait à le descendre le temps d’une exposition sous forme de joute, où les œuvres du maître viennent à la rencontre de celles de ses successeurs. Ce sont donc 21 challengers qui sont proposés au lutteur, et pas des moindres.

De but en blanc on nous annonce de la sueur et du muscle, les premières figures : The clam digger de de Kooning et Butt to Butt, assemblage de membres épars de Bruce Nauman, engagent un dialogue de forcenés. L’un et l’autre partagent le goût de la matière de Rodin, sa façon de s’en emparer, de la battre et de la dresser ; ensemble ils nous indiquent l’ampleur de l’engagement physique qu’impliquent ces œuvres. On retrouve le même élan chez Fontana, sinon que chez lui la préméditation est fondamentale et précède le coup. À ses côtés Dubuffet s’évertue à trouver une gestuelle primitive, il construit une tête qui, à l’opposé du concept spatial de l’italien, donne l’impression d’avoir été modelée avec les ongles.

De Rodin on croise plusieurs fois L’étude nue de Balzac. Ces sculptures – ventre et parties génitales en avant – sont le porte étendard de la modernité de l’artiste. C’est d’ailleurs souvent les œuvres partielles et inachevées du maître qui sont posées en vis-à-vis des ambassadeurs. Ces face-à-face mettent en exergue les méthodes et la cruauté des manières du grand classique. Elles répondent œil pour œil aux audaces qu’on leur propose, tout en elles attise le regard et l’envie. En organisant cette exposition, les commissaires ne s’y sont pas trompés, Rodin a dans son ventre, autant que dans ses formes, les prémices et les germes d’une grande partie des développements à suivre. Il n’y a qu’à regarder l’étude pour la Robe de chambre de Balzac avec pour arrière plan les 289 coquilles d’œufs de Broodthaers pour sentir l’histoire se brouiller.

Tout au fond, les œuvres de Haim Steinbach et de Beuys se regardent en chiens de faïence. Dans les deux cas il s’agit de combinaisons, mais Rodin s’en moque, lui aussi épluche le réel pour le recomposer à sa guise. Chaque projet de sculpture est pour lui l’occasion de tout reprendre à zéro et de jouer avec les éléments constitutifs de son sujet. Tout comme Beuys, Rodin investit la sculpture par le dehors et par le dedans, et tout comme Steinback, il associe et décline librement les fragments pour obtenir des hybrides.

Chez Giacometti on retrouve son besoin de précision et de concision, l’idée que la sculpture n’est jamais totalement finie, qu’elle peut être reprise encore et encore. Sophie Ristelhueber est la seule femme de l’exposition, d’elle on voit les photographies de cicatrices. Elles évoquent les plâtres et moulages du sculpteur, les bavures qu’ils comportent en leurs jonctions. Pourtant Every one #14 qui montre, plus grande que nature, l’impressionnante blessure au dos d’une femme, ne fait que témoigner quand les bras brisés et la tête coupée de L’homme qui marche le sont à dessein.

Dans le couloir qui mène à la sortie, Diary of Clouds d’Ugo Rondinone a été installé en regard des déclinaisons du buste de Clemenceau de Rodin. L’un collectionne les nuages en cire et l’autre la face de l’homme politique, entre les deux le dialogue est frappant. Il y a dans ce passage une atmosphère d’arrière boutique d’apothicaire, presque un sentiment d’eugénisme tant l’alignement des meubles et les têtes dedans font partie de la panoplie des démiurges.

Pour parfaire la visite, trois figures féminines d’Urs Ficher sont en place dans la cour de l’hotel Biron. Miss Satin, Marguerite de Ponty et Zizien, en aluminium et acier chromé, offrent leurs dos et leurs textures aux reflets du soleil. Si elles le  pouvaient, elles sueraient.