Le Louvre organise sur son fond propre ainsi que sur celui du musée Teyler de Haarlem, une exposition des dessins de Claude le Lorrain. Ainsi il se donne à la fois l’occasion de déployer la formidable collection qu’il conserve, et celle de déplacer l’attention souvent portée sur la peinture de l’artiste vers une autre partie essentielle de son œuvre, le dessin.

L’exposition dans un élan de didactisme commence sur un Paysage au dessinateur montrant deux hommes en haut d’une butte. L’un dessine, l’autre le regarde faire,  nous invitant ainsi à emprunter la même posture silencieuse aux côtés du créateur. Cette discrète incitation à se laisser prendre par la main aurait pu sembler contraignante si nous ne savions pas d’avance que les expositions d’œuvres graphiques demandent une réelle endurance. Pourquoi ne pas se laisser guider ?

Les dessins de l’artiste sont d’une grande légèreté, à tel point que l’on y perçoit immédiatement les volumes et les courants d’air. Chez lui les bois et les grottes ne sont jamais ni trop lourds ni trop massifs, et c’est avec une extrême limpidité que l’artiste restitue les lumières traversant un arbre dans Paysage boisé. En plus de cela, on croit parfois pénétrer le dessin en le regardant tant il est onctueux. On ne fait pas que glisser dessus, y naviguer et rebondir de lignes en lavis, on y plonge et parfois s’y enlise avec un certain plaisir. Les paysages du Lorrain ont quelque chose d’un sable mouvant, le contemplateur y est enveloppé mais jamais englué. Le Colisée est de ceux-là ; bien que la structure dessinée soit minérale cela n’empêche nullement de s’y sentir douillettement accueilli, on peut presque sentir la texture froide et légèrement humide des blocs de pierres. Un vrai bonheur les jours d’été.

Au fur et à mesure que l’on avance dans l’exposition les touches se diversifient. Parfois les traits se dissolvent, parfois ils s’affirment. Ce qui permet, de temps en temps, au tempérament des dessins de s’exercer plus fortement. Ainsi Un arbre ressemble à une explosion, Vue avec des pins aux batteurs d’un mixeur, et les gravures portent les épines de ronce jusque dans leurs surfaces. À mi-parcours, Les berges boisées est une apparition spectrale dans laquelle les végétaux se dressent, frêles, mais assurés par l’appui des uns sur les autres. Il y a dans cette construction une cohérence rare, à tel point que devant ces arbres on croirait être en présence d’une photographie de famille ou d’hospice.

Pratiquement chaque salle est accompagnée d’une peinture, des contrepoints agréables, tant pour les indications qu’ils donnent que pour la respiration qu’ils imposent à la visite. On découvre ainsi Paysage avec troupeau(le parc à moutons). La seule peinture à l’huile réalisée en plein air conservée de l’artiste est d’une fraicheur étonnante dans le corpus de l’artiste. À ses côtés on trouve plusieurs études du même sujet dans lesquelles le Lorrain parvient presque à donner à ces feuilles l’odeur de la bergerie.

L’exposition se poursuit par plusieurs ensembles faisant voisiner études préparatoires, dessins autonomes et peintures de mêmes sujets. Elle s’achève par un dernier clin d’œil des commissaires de l’exposition, avec un brouillon de lettres où l’artiste vieillissant s’enquière de ses frères restés en France. Et oui, tout romain qu’il était, le Lorrain n’a pas oublié ses origines. Le symbole est amusant puisqu’anecdotique, l’exposition étant en elle-même une grande réussite. Faisant de cette suite de quadrilatères grisonnants un spectacle enthousiasmant.