Parmi les vieilles gloires de l’art moderne Van Dongen jouit d’une position bien particulière. Celle du châtelain menant le bal de la peinture osée qui fait rougir les bourgeoises, et même parfois, les fait virer au vert, au gris, à l’orange et au bleu. Celle d’un peintre dont le médium a surtout été les mondanités – mais en couleur, s’il vous plaît !

Pourtant l’homme a aussi été au centre de l’effervescence artistique du début du siècle, Fauve avant les autres et locataire de Montmartre et Montparnasse en même temps que ceux qui comptaient. C’est donc plutôt par ce biais que le musée d’art moderne de la ville de Paris a choisi d’aborder l’œuvre. Calcul facile, mais qui se heurte à la difficulté d’apprécier ce genre de travail tant, l’innombrable et médiocre, descendance qu’il a engendrée pollue notre regard.

L’exposition démarre sur l’étonnante Chimère pie, tableau de la taille d’un poney, figurant un cheval au galop au milieu de nuages. Celui-ci voisine avec les œuvres hollandaises et les débuts parisiens de l’artiste. Il en ressort un mélange de rusticité et d’impressionnisme, et déjà, quelques saillies colorées. S’en suit un bon nombre de travaux montmartrois en ce que ce terme peut contenir de plus « début de siècle » : clowns, petites femmes, Sacré-Cœur et avant-garde. C’est précisément ce passage de la carrière de Van Dongen qui est mis en avant : ses audaces picturales, ses sujets nus, mais aussi sa propension à antidater et vendre ses œuvres à la découpe. L’artiste ayant rapidement compris – une fois fortune faîte – que la crasse n’a pas d’odeur, pour peu qu’elle soit en peinture. Les collectionneurs en raffolent et l’appellent bohème.

Cependant l’exposition ne pouvait pas faire l’impasse sur les portraits, ceux-ci occupent presque les deux tiers de l’accrochage. Ils ont pour très grand intérêt de n’être que rarement reproduits dans les livres d’histoire. Ainsi, malgré leur moindre pedigree ils font bonne figure au côté des nus fauves et autres folies bergères un peu affadies par l’usure du regard. Le portrait de Jack Johnson, de facture simple et limpide, prouve avec aisance que quand l’auteur ne s’attardait pas trop à observer son modèle, il arrivait à se concentrer sur sa peinture et en exploiter la richesse.

Cela dit nous ne serons pas beaucoup témoins de ce type de réussite. Peindre les femmes sera la grande affaire de la vie de l’artiste, et il s’est souvent plu à faire durer le plaisir dans des orgies de couleurs, de motifs et de chaire galbée. Nul doute qu’il ait aimé regarder ses modèles, « La peinture est un vice » dit-il pudiquement, on lui en devine quelques autres. Au nombre des habitudes de l’artiste se trouve le goût des mises en scène et des bals masqués. Il prend ainsi plaisir à se portraiturer en Neptune, sauf que tout en s’affublant d’une taille d’athlète et de pectoraux d’acier, il se fige dans une totale inexpression, à l’opposé de ce que devrait éveiller ce genre de fêtes. Finalement ce sont ces travaux des années 20 et 30 qui ont le plus d’allure, l’artiste ne s’essaye à rien d’autre que de rendre les modèles fauves et sveltes. Il n’y a pas de grandes réussites, mais l’on imagine sans peine que ce genre de portrait d’un aïeul fasse fort bel effet dans un salon.

La dernière salle en est ainsi une galerie dont systématisme est quasi warholien. On en vient à regretter que cette partie du travail de l’artiste n’ait pas plus été explorée sous cet angle là. La mécanisation et la déclinaison de cette peinture comme outil social, s’ils n’ont pas été pensés, n’en sont pas moins apparents. En ce sens le tour du monde des vieilles gloires qu’offre cette exposition est édifiante si l’on songe à la création actuelle.