Que n’a-t-on déjà dit ou montré à propos du paysage ? Rien, ou presque rien semble-t-il. Pourtant, alors que le sujet jouit d’un certain regain d’intérêt dans la création contemporaine il reste mésestimé et suspecté pour ses aspects décoratifs. Sans même prendre la peine de contredire ces préjugés l’exposition – La nature et idéal – présentée au Grand Palais nous rappelle à l’ordre avec autorité et assurance.

Le contexte historique est rapidement brossé et même pris avec précautions pour ne pas froisser les historiens tatillons, l’intérêt majeur de l’événement n’est pas à chercher de ce côté-là. On le découvre avec le premier tableau de l’exposition. Paysage fluvial d’Annibal Carrache est une scène lacustre barrée de troncs d’arbres, purs objets de composition et de délectation. Il en sera de même pratiquement tout au long de la visite.

Dans cette nature grandiose et géométrique, les hommes sont réduits à de petits signes et la chute du paradis y est partout sensible. Les figures humaines sont à l’échelle des écorces, des feuilles ou des ruisseaux. Seules leurs parures aux belles couleurs jaune, bleu, orange ou rouge nous signalent que nous pourrions leur prêter intérêt. Dans Paysage avec la fuite en Egypte du Dominiquin, ils ne forment plus qu’un laborieux ballet, tels des fourmis ordonnées et insignifiantes. L’effet monte encore d’un cran dans Paysage avec Hercule et Cacus et Paysage avec Hercule et Archeloüs du même Dominiquin. Le relief devient inquiétant, le sol revêche d’un vert terreux et la végétation sèche donnent aux vues un aspect rugueux et presque irritant. Les personnages ont beau être au premier plan, nos regards ne s’attardent pas sur eux, la terre et ses lisières concentrent seules notre attention.

A contrario, chez Albane l’homme trouve une place harmonieuse dans la nature, La toilette de venus et Venus et Adonis présentent des personnages que les feuillages ne gênent pas et qui s’y inscrivent comme dans un écrin. Les figures y ont leurs places au même titre que les branches des arbres, presque aussi peu expressives et mues par le même héliotropisme.

D’autres œuvres recentrent le regard sur l’homme. La conversion de saint Paul de Sisto Badalocchio montre une campagne soulevée de poussière, dans un paysage entièrement investi par des folies guerrières et mystiques. Cette toile ouvre la porte aux ruines qui peuplent les œuvres suivantes et dont les artistes nordiques sont friands. On découvre parmi eux Goffredo Wals dont les petits formats sont inquiétants de modernité, à un pas de Corot et de Giorgio De Chirico. À leurs côtés, Giovanni Lanfranco donne un Roger délivrant une Angélique rougissant de plaisir au moment où il la prend dans ses bras. Entre eux le désir est presque palpable, il n’y a qu’à regarder leurs mains pour être saisi de frissons. Derrière, le paysage sombre annonce la fin du jour. L’accord est parfait.

L’étage met en avant les peintres français de Rome. Là encore, au milieu de l’architecture lumineuse de Lorrain et de la nature grasse et souple de Poussin, on se laisse aller de surprise en surprise. La Bacchanale à la joueuse de guitare de Poussin fait office de carton d’invitation en nous poussant dans un pique-nique de fin d’après-midi ensoleillée.

Une salle rassemble les prêts accordés par le musée du Prado. Parmi eux La tentation de saint Antoine du Lorrain est un choc ; sombre et apocalyptique elle nous montre le saint déterminé et à terre dans un monde préindustriel, effrayant. À ses cotés, Paysage avec saint Paul en ermite de Poussin est à peine plus apaisé, la nuit vient de se terminer et un vieillard encore robuste se dresse entre les rochers et les arbres malmenés par la nuit. La surface de la toile est couverte de stigmates, d’une matière qui n’appartient plus au paysage ni à quelque sujet que ce soit mais à la peinture seule. Un troisième tableau de Gaspard Dughet vient clore cet admirable ensemble, Paysage avec un anachorète prêchant aux animaux montre une nature adoucie dans laquelle le saint, réconcilié et debout, communie avec le paysage alentour.

On ressort de la visite enchanté par cette marche dans les collines romaines. Déterminé à se laisser plus souvent tenter par l’insoupçonné pouvoir de ces œuvres, supports idéaux d’une peinture libérée fascinante.