La galerie Kamel Mennour aime les carrés et veut le faire savoir. Le sujet est sérieux, autant ne pas lésiner sur les moyens. Elle convie donc deux grands maîtres en la matière, l’un contemporain, l’autre historique. Malevitch et Morellet à l’affiche, voilà une exposition ambitieuse.

Si en nombre de travaux la galerie a réussi le coup de force de représenter les deux artistes de manière égale, les formats de François Morellet sont beaucoup plus imposants que ceux de son homologue Russe. Le premier n’hésite pas à prendre toute la place dont il peut disposer, alors que les dessins du second sont regroupés en grappes sur deux murs. De même, les dessins de Malevitch sont surtout des esquisses rapidement griffonnées alors que les travaux de Morellet sont droits, nets et produits avec précision.

Les Négatifs de Morellet ratent volontairement de fermer le carré, l’artiste les ouvre comme des crabes et démantèle leur forme pour n’en garder que l’ombre noir. De même les 3 carrés : le 1er incliné à 90°, le 2eme à 75°, le 3eme à 60° avec leurs côtés supérieurs rectilignes glissent vers nous mais ne tombent pas. À chaque intervention l’artiste repose la question de ce que sont vraiment ces figures. Chez lui elles sont des points de départ, une manière neutre à partir de laquelle il déclenche un sursaut. L’exposition montre a contrario un Malevitch tâtonnant pour arriver au carré. Le plus souvent il n’y arrive même pas, s’arrête en chemin et patauge dans des compositions tout aussi clairvoyantes que laborieuses. Si sa quête du Suprématisme marque les esprits par l’apparition du carré, l’artiste remue et actionne toutes les formes géométriques, cette lancée aveugle qui tend vers l’infini n’est pas rectiligne, elle louvoie.

Ainsi les trois tableaux lumineux Sous-prématisme de Morellet, une croix, un carré et un rond affichent une assurance insolente qu’est loin d’avoir Le Quadrilatère noir faiblard et spectral, seul sur le mur adjacent. Il en est de même durant toute l’exposition, il y a d’un côté une géométrie artisanalement bancale et de l’autre des baudruches qui ont bien du mal à prendre forme. Ils sont comme l’avant et l’après carré, l’aspiration sacrée confronté au réveil post anesthésie.