Bernard Frize, qui multiplie les méthodes de peinture depuis le début de sa carrière, ratisse large et explore méthodiquement, expose ses derniers travaux à la galerie Emmanuel Perrotin. Avec une surprise de taille, puisque l’artiste propose dans cette exposition non pas un champ d’investigations, mais plusieurs. Entrées, plats et desserts sont donc servis avec parcimonie et sans s’étaler.

Il faut dire que l’on n’est pas habitué, l’artiste nous avait accoutumé aux orgies, et aux déclinaisons de boulimie. Il a toujours mieux valu se rendre à ces expositions à la limite de l’hypoglycémie. Le procédé est un peu différent cette fois-ci. Certes, il y a toujours autant de sensualité dans ce travail ; Mouna, Paravent et autres Dérive ne manquent pas de séductions, on s’y jette tels Hansel et Gretel sur la maison en pain d’épice du conte des frères Grimm. De même, on devine que les œuvres présentées ne sont que la partie visible de l’iceberg, il doit y en avoir plein d’autres pour satisfaire nos besoins. Mais la situation devant laquelle nous place l’artiste est inédite.

Jusqu’à présent, l’expérience d’une série entière de peintures nous enfonçait dans une matière grasse et mécaniquement caressée – prise à bras le corps, fouillée de long en large dans un mouvement tendu et langoureux. On en ressortait repu comme après une sieste trop longue sur un matelas trop mou. Cette peinture nous collait à l’estomac, et il y avait dans ce sentiment la satisfaction d’être allé un peu plus loin que ce que la bienséance nous permet de faire. Le cas présent autorise les respirations. Puisque toutes différentes, on finit par appréhender les œuvres les unes par rapport aux autres, on les aborde, alors qu’on avait l’habitude d’être assailli par elles. On devient tatillon, discute l’accrochage et se prend à déclarer une petite préférence.

Toute cette liberté est encombrante, elle nous embarrasse. Car à l’instar du travail de Rodolf Stingel, les peintures de Bernard Frize doivent nous dépasser et nous ensevelir, elles sont une étreinte qui nous enlace à la gorge. Les variations sur la peinture n’y sont pas une fin en soi ; c’est toujours à la frontière de la crise de foie qu’on les apprécie le mieux. Quand elles nous emplissent de leur matière, qu’elles nous font peinture.

L’exposition qui s’intitule : Ad Nauseam aurait mieux fait de s’en tenir à cette première idée, les œuvres s’y prêtent à merveille.