L’exposition s’ouvre sur une suite d’œuvres de petites tailles, principalement composées de dessins. Une bonne manière d’amener le visiteur à s’approcher du sujet au plus près, sans lui rappeler trop violemment que le propos de l’exposition l’inclut dans la partie. Tous cannibales, nous dit-on ; presque un slogan, et sans point d’interrogation à la fin. Au moment où l’observateur attentif se rend compte qu’il est entré dans une boucherie d’un type un peu particulier, il est trop tard pour faire demi-tour, il piétine déjà l’œuvre de Wim Delvoye Marble floor, rosettes et salamis pour tous.

Parmi ces travaux préliminaires, une gravure de Cranach l’ancien retient notre attention par l’humour qui s’en dégage. Le loup-garou nous signale sans détour que manger de la chair humaine est aussi l’occasion de se traîner à terre et de se passer de couverts. En face, presque comme un contre-point, on trouve quelques photographies de cannibales, des vrais, dignes et droits comme des i.

Les grands formats commencent avec Sans titre d’Oda Jaune où l’artiste mêle anthropophagie et sexe. Dans la première salle, The matrix of amnesia de John Isaac est un corps flasque et ventripotent de partout. Etalé par terre, il a perdu sa tête, bêtement dirait-on. Du coup, on prend note que les cannibales aussi peuvent prendre soin de leur ligne, l’auteur de cet acte n’ayant touché qu’à la partie non grasse de la victime, laissant le reste aux charognards moins regardants. En face, les dessins de Jerome Zonder nous montrent l’envers du décor, ce qu’il y a de l’autre côté de la peau si on l’ouvre. Ces grands papiers sont remplis, à l’écœurement, d’intestins et de boyaux. L’espace suivant va encore un peu plus loin avec Azulejaria branca em carne viva de Adriana Varejao, la chair et la peau s’y rejoignent et se déchirent, en une blessure rougeoyante.

À côté de ces symboles carnassiers, on trouve un peu partout dans l’exposition des œuvres de Gilles Barbier. Presque partout, en fait. Mais il faut avouer que l’artiste ne ménage pas ses efforts, pour investir les questions relatives aux viscères et à leurs réseaux. Ces travaux sont à chaque fois une salvatrice respiration ; à une exception près, on n’y voit jamais de sang.

Une petite salle est dédiée à Goya, ces héritiers et ces copistes. S’y trouvent des variations, comme celle de Vik Muniz, bien pratique pour faire des citations, ainsi que toute une suite de gravures des frères Chapman. Mais malgré les évidences, les liens avec le maître espagnol sont bien maigres.

Par contre, la Messe pour un corps de Michel Journiac est toujours un must. Même si le noir et blanc lui donne une patine qui l’éloigne de nous et la rapproche des guerres sacrificielles du XX° siècle, elle reste une belle façon de manger son prochain.

On passe ensuite à des œuvres plus sensuelles, et à la multiplication des seins et de leur lait miraculeux. Ici, ce sont les femmes que l’on dévore, mais comme l’on n’échappe pas aux vieilles lunes : Bettina Rheims, Cindy Sherman et Patty Chang sont accompagnées d’un vieillard (Bassano) et d’un japonais (Toshio Saeki). Plus loin, Philippe Mayaux finit de nous mettre l’eau à la bouche avec ses douceurs sous vitrine : Sans titre, série savoureux d’elle et Desirium tres belle.

L’exposition se termine sur le géant de nouilles de Théo Mercier : Le solitaire. Drôle de choix pour le mot de la fin, donnant à cette sculpture un accent moraliste qu’elle n’a pas forcément d’elle même.