C’est un pari difficile qu’a décidé de relever le musée d’art moderne de la ville de Paris en proposant une rétrospective General Idea. Décimé par le sida, critique et bien souvent acide dans son regard sur la société, de ce trio phare des années 80, ne subsiste dans les esprits qu’un air de fin de soirée. Mais c’est justement sur l’actualité de ce constat, que prend appui le musée pour convoquer le groupe.

Dès le début, le ton nous est donné par les deux rangées de blasons fluorescents peuplés de caniches, qui nous accueillent devant les salles d’exposition. L’animal aux moumoutes soyeuses et réputé peu commode, est l’emblème de la résistance qu’oppose General Idea à la mollesse complaisante de son époque. Et comme pour enfoncer le clou, la salle de La fée électricité est investie par les trois grosses pilules de Placebo. Bien trop grandes pour être avalées, vides de substance active et donc inopérantes, ces trois remèdes nous narguent et nous indiquent qu’ici la pharmacie ne sera d’aucune aide.

L’exposition commence donc par le pan le plus coloré et ironique du travail des trois artistes canadiens. Mais une fois à l’étage, AIDS, pastiche de Robert Indiana, nous met immédiatement en garde contre toute envie de rire trop fort.

Pourtant les artistes ne manquent pas de fantaisie. Et leurs usages décomplexés des médias et des codes effectifs du monde de l’art leur fait développer un goût pour la parodie aux accords doux-amers, où tout est matière à fiction, simulacre et joyeuse démystification du monde. Dans Portrait de General Idea et Miss General Idea, ils jonglent avec les clichés artistiques et du marketing, mais ils s’en emparent autant qu’ils les moquent. Sans reculer devant le mélange des genres, auto-promotion et critique voisinent avec humour.

XXX bleu s’empare de Klein. Composée de trois grands X peints à l’aide de caniches, l’œuvre pousse la mascarade là où elle fait mal, mais réintroduit en même temps une large part de réel dans l’œuvre de l’artiste quand elle en ôte le zèle spirituel. C’est autant l’image de l’artiste que l’œuvre de celui-ci qui fait les frais de cet assainissement.

En face de ce travail à forte visibilité, se trouvent d’autres travaux non moins éloquents. Ce sont des traces de tentatives avortées ou sans descendance, quelques photos de performances, des moments de travail et de franche camaraderie où le sérieux des propositions vacille avec la vacuité des résultats. Dans Showcart les artistes s’expliquent et nous perdent, à demi-sérieux à demi-drôles, on ne sait pas tellement si c’est du lard ou du cochon qu’on nous assène dans ces mémentos qui nous accompagnent tout le long de l’exposition. Dans ces œuvres, tout comme dans Playing triangle, aussi fragile que concentrée, on sent qu’à tout moment l’arbre qu’ils sont en train de scier pourrait s’abattre sur eux.

Dans le même temps General Idea se moque ouvertement de la consommation de masse. Rien n’est trop gros pour eux, Nazi milk est une publicité pour les produits laitiers arborant une moustache bien connue, Jockey short shopping bag, un slip/sac, pour accompagner les ménagères au supermarché. Ainsi, l’exposition opère constamment un va-et-vient entre des œuvres introspectives et d’autres grinçantes.

Dans une excroissance du parcours, une salle regroupe les ruines du projet pour le pavillon de miss General Idea. Vaste entreprise de construction effondrée, à la mode des jardins du XVIII° siècle qui donne sur l’espace où sont rassemblées les poussées lubriques du groupe. Ici encore les caniches servent de fusible, Mondo cane kama sutra est un écho de leur goût pour les schémas et la sexualité, et énumère par A+B ce les combinaisons d’une partouze.

Pourtant aussi actuels que soient ces travaux, des œuvres comme Fin de siècle de 1994 nous ramènent instantanément dans les années 90, les phoques y sont à jamais associés. De même la série Black triniton, qui s’empare du poste de tv et de la neige qui le caractérisait à l’époque du tube cathodique et des antennes réglables, dévoile que General Idea reste ancrée dans son époque comme un crocus dans son pot.

L’exposition se termine sur le projet AIDS, les œuvres y sont petit à petit contaminées, partiellement puis totalement recouvertes de blanc. Encore une belle mise en scène, sauf que cette fois elle s’est clos par le décès de deux des artistes.