On ne voit pas son visage. On ne connaît pas son sourire. La baigneuse est assise dans l’ignorance la plus parfaite de notre présence. Et nous-même ignorons tout d’elle. Pourtant, son corps, ce bloc de volupté posé tout près de nous, nous appelle. Silencieusement, tel un courant marin nous emportant sans en avoir l’air, loin de nous, loin de l’endroit d’où, fermant les yeux, nous avons décidé de nous laisser porter ; loin de notre imaginaire, loin, beaucoup plus loin qu’il est permis de se rendre.

Dans la clarté embuée par les vapeurs d’eau et les huiles essentielles, sa silhouette délicatement déroulée frémit, à deux doigts de s’abandonner. Sa nuque, son dos, ses épaules, ses fesses et ses reins forment un très léger pli en avant que l’on devine en suivant le subtil jeu d’ombres que dessine la lumière à la surface de sa peau. Celle-ci est si fine, qu’à fleur, on y perçoit le va-et-vient du poult. Peut-être va-t-elle se lever. L’élégance de cet entre-deux, qu’aucune crispation ne vient cisailler, interdit le moindre mot. Il faudrait autre chose, pouvoir lui prendre la main ; tout lui avouer.

À ce trouble s’ajoute une tendre culpabilité, presque une pudeur, qui retient la chevelure de la jeune femme dans une serviette ornée de rayures roses. Enfouie dans cette spirale décroissante, elle laisse échapper quelques mèches brunes, comme un écho à la sensualité et au désordre fraichement accompli dans le chevauchement des draps blancs qui recouvrent le lit où elle se tient assise. Partiellement défaits, ils portent la rugosité usée d’une toile dont les creux et les courbes, chargés d’arrondis, de boucles et de méandres, regorgent de mille promesses tapies. C’est sans doutes en eux que se perd le regard qu’elle nous retire.