Ce qui relie la collection de David Walsh et celle du TMAG (Tasmanian Museum and Art Gallery) est leur centre de gravité commun : la Tasmanie. L’exposition qu’en présente La Maison Rouge est toute entière chargée de cette étrangeté – rien ou presque de ce qui est accroché ici n’est véritablement connu. Et pourtant, l’usage du cabinet de curiosité nous a habitué à voir parmi les œuvres, minéraux, gravures, formes et mobiliers dont on ne reconnaît pas la fonction. Sauf qu’ici le rapport est inversé, on croit connaître, on se trompe. Ce que l’on voit procède d’une culture visuelle cousinée, proche, mais inconnue ; à chaque fois la surprise agrandit les frontières du monde commun.

La Cuisine de Mme Vermeer de Robyn Mckinnon, et ses couteaux et autres ustensiles de cuisine peints, en réserve, sur une toile que l’on devine avoir servi autrefois à une autre composition, est à l’image de la grille familière mais acérée que constitue l’exposition.

Ainsi, ce sont d’abord les objets usuels qui marquent un tiret entre nos habitudes et nos usages. Ici, ils ne sont ni vieux ni délabrés ; hier encore, ils pourraient avoir servi. Dès le début on rencontre des tuniques et les chaussures ornées de perles du Nigéria, belles de leur surface granuleuse, lourde comme une carapace de tatou, des repose-têtes, des boucliers, des Tapas, et des épées-monnaies. Plus loin encore, un panneau de bois décoré d’un requin qui ressemble à un lamantin – comme ces gravures de la Renaissance qui représentaient des rhinocéros sans que jamais l’auteur n’en ait vu en vrai –, la contamination des icones joue de tous les ressorts possibles. Des associations qui fonctionnent aussi entre les œuvres, la vasque blanche au poisson rouge de Kounelis, où est plongée un long couteau de cuisine, humide et prêt à l’emploi, fait face au gras du Cimetière en Sicile de Brett Whiteley. Cette peinture verte et blanche dont les murs au premier plan sont maçonnés, alors que les croix, les cyprès et le sol sont fluides et fuyants, donne le sentiment qu’à tout instant elle pourrait se répandre au sol. Même incertitude quant à la rencontre du Duo Canin filmé par Wegman avec le serpentin volant entre deux ventilateurs de Zilvinas Kempinas.

Ailleurs encore, des objets plongés dans l’obscurité d’une scénographie interdisant de se fixer sur une œuvre plus de quelques secondes consécutives – ceux-ci étant successivement éclairés un instant avant de rejoindre le noir – exigent du temps. Parmi les masques, on découvre une peinture de Sydney Nolan, d’un modernisme droit mais inédit, digestion picassienne d’une formidable qualité de facture. Sidney Nolan que l’on retrouve dans la salle suivante face à une sculpture momifiée à la cire de Berlinde De Bruyckere. On comprend que l’artiste est présent depuis le début de l’accrochage ; tout au long de l’exposition, où l’on voit de plus en plus de d’œuvres, il ne cesse de poser la question : mais comment a-t-on pu attendre si longtemps pour voir ce travail ?