Louis Stettner est un homme du xxe siècle comme on commence à les nommer et à s’en souvenir : autrement dit, un photographe. Un photographe américain travaillant entre Paris et les EU, en noir et blanc, à mi-chemin entre la photographie humaniste et la Street Photography.

Ce que montre son travail ressemble à ce qu’ont montré bien d’autres, l’après-guerre, les ouvriers, l’Espagne rurale, le métro et ses sièges transformé en photomaton le temps d’un voyage, le redressement économique, les fuites d’eau et le monde prêt à basculer dans l’épaisse mare visqueuse des produits de la chimie pétrolière. Louis Stettner est un de ces photographes dont les images ne sont ni des documents, ni de l’empathie reproductible mécaniquement. Il a semé quelques petites pierres blanches dans le sillage d’une humanité qui englobe tout dans son vacarme jubilatoire et abrutissant ; les voir ne dit rien de plus, rien de moins. Plus que de leur sujet elles sont le témoin d’un siècle de photographie. Un siècle révolu, et son médium avec lui disparu. En atteste leur silence.

Pourtant, Louis Stettner ne raconte pas rien. Ses engagements sont réels, et dans l’indécision de sa position se joue tout ce qu’il ne montre pas, mais qui fait de lui un pur protagoniste de la petite histoire du monde. Comme il vient de nulle part et qu’il ne va nulle part, comme les chemins ont été balisés et les idéologies banalisées avant lui, que le monde perdu a déjà été chanté par la génération de ses parents et que le monde à venir – nous le savons à présent – a fait demi-tour, ses photographies ont pu désapprendre à mentir.

L’épopée n’étant pas au rendez-vous, libérés des mensonges de l’image, il nous faut écrire nos propres mascarades pour rétablir les mythologies dont nous avons collectivement besoin. Ce sera pour les uns le long trajet jusqu’à Coney Island, et pour les autres l’odeur des pins dans les creux touffus d’aiguilles que connaît encore, par endroits, le massif des Alpilles.