Dans la lumière éparse de l’immédiate après-sieste, une femme assise sur une chaise tubulaire attend que vienne le réveil. Sa main pend, son peignoir est froissé. L’image qu’en donne Johannes Karhs est de travers ; elle semble projetée sur un fond noir, un mur à la surface duquel elle bave légèrement.

Le peintre se souvient de cette femme. Elle fut pour lui le cœur d’un fabuleux désir ; le dessin de son poignet, les lignes nerveuses, sensuelles, qui remontent depuis le coude, les courbes, la matière même de son habit, sont encore parcourus d’envie. Mais le peintre ne se souvient plus de son visage. Il ne se souvient plus, non plus, du moment où il a pris cette photo. Ni du grain de sa peau, si elle était souple ou épaisse, s’ils s’étaient baignés avant ou juste après avoir dormi, coincés, l’un près de l’autre dans le creux de cette antique chaise longue. Johannes Kahrs ne possède plus que la mémoire qui entoure ce souvenir. Il ne conserve que l’image elle-même et l’habitude, prise par les nombreuses fois où il a revu cette image, de l’aimer sans attache.

D’autres clichés, rangés dans la même boîte tissent et pensent à notre place le décor de cet amour.

Un léger exotisme se retrouve sur deux tableaux jumeaux. On y voit un palmier, mordu par l’ombre d’une tête qui regarde le ciel se dégrader dans le cobalt et l’anis. Puis un pied, un lit, la télévision qui bourdonne dans la chambre, l’ivresse de quelques célébrités – encore les mêmes, toujours les mêmes –, étrangement, d’eux le peintre n’a pas oublié le nom. Ils sont là, de face, bien visibles avec leurs stigmates et leurs arguments à la noix qu’ils assènent en permanence depuis si longtemps qu’il n’est plus jamais envisageable de les faire taire « Car c’est à eux qu’appartient le règne et la puissance… »

– Misère.

Dans cet enfer, les réminiscences sont saturées et de basse qualité, comme si le regard ne s’exerçait plus que sous l’emprise d’une webcam. Les couleurs de chair y ont froid. La conservation à faible température permet cela. Ainsi, saisies par la réfrigération, il est plus simple de les découper et de les recadrer pour les coller dans son album photo.