Un corps calciné, ramolli par la pluie et la succession des saisons, affleure à raz du sol. Ses bras ont été disposés en croix, repliés sur une chair tour à tour calcinée et ravinée ; méconnaissable, anonyme, il repose. Autour de lui, rien ne subsiste de ceux qui assistèrent à sa descente. Seul son martyre, dans son décor de fin du monde, nous est parvenu.

Il n’est certainement pas tombé tout seul. Près de lui un réseau de lames métalliques relie des tiges dressées qui semblent fichées au sol comme des banderilles de toreros dans le cuir d’une bête immense. Elles sont ornées d’éléments fondus en aluminium parmi lesquels on reconnaît des angelots, des canettes de soda froissées, des oisillons et de petits crânes grotesques. Leur présence témoigne du caractère rituel du sacrifice. Elles sont tel un champ de paratonnerre, bien que pour le ciel, la rune qu’elles dessinent soit invisible. Ce n’est pas à la pluie que s’adresse la dépouille fracassée, mais à la terre et aux racines enfouies en elle : mystérieuses radicelles se nourrissant de la noirceur des incendies, mais qui, de ce corps là, ne veulent pas.

Plusieurs vasques remplies de cendres témoignent de l’atmosphère chargée d’encens ayant dû régner ici. Posées contre les murs, des fenêtres intactes portent sur leur double vitrage des pages de journaux et de magazines imprimées par transfert. On peut encore en lire les titres, comprendre les images ; or leur matérialité s’est envolée, elle a disparu. Ne restent que le murmure des claviers et de l’offset. Comme si, bien après que le rite ait eu lieu, il avait été pris dans un accident industriel.

La présence de ces images fantômes surimpose l’anecdote au rite. La parole vitrifiée qu’elles portent, ce qu’elles racontent, mais qui ne dit plus rien est un instantané brutal, pareil à une montre brisée sur laquelle pèse à jamais l’heure d’une faute qui n’était pas la sienne. Cet arrêt interdit l’éternité au corps qui y aspirait pourtant ; et le vœu dont il était chargé, ce vœu pieu, ne parviendra jamais à ceux auxquels il était destiné. Il demeure coincé entre la terre qui ne veut pas de lui et l’air rare de la petite pièce où il est conservé.