Grands Hêtres, Étude pour Honfleur la côte de Grâce sont deux petits tableaux verticaux dressés d’arbres irréguliers. Eugène Boudin les a planté dans une lumière orageuse qui donne à leurs branchages et à ceux qui les entourent un air fâché que l’on ne devine pas encore vouloir s’adoucir. Quelques fleurs, plus anciennes encore, ont le même sérieux. Fleurs dans un verre, Fleurs encore, Pivoine et seringa, à sa manière fruste et généreuse, le premier Boudin semble peindre des fleurs sur fond de grand ciel bleu, mais dans ces tableaux l’introspection l’emporte encore sur l’ouverture ; les toiles que son pinceau gratte et enrichit de couleurs mates se transforment en sols faits de fugaces moments de peinture reflétés dans le calme de petites flaques aux bleus fragiles. En campagne, Boudin reste prisonnier de la beauté du paysage. Ce n’est que face à la mer que le miroir se brisera, et que s’engouffra l’étendue irrationnelle de l’azur.

Le monde portuaire, gris aux reflets bleutés des petits matins éternellement humides, change la donne. C’est un monde d’où se dégage en tous temps une fumée lourde d’écume argentée, qui s’élève sans frein ni limite, sculptant l’infini changeant du ciel et ferra le bonheur de Boudin.

Avec lui, la peinture toute entière est tourmentée par l’urgence et la patience. Fugace, l’air du temps trouve néanmoins un point d’accroche dans les cabines de plage blanches qui surplombent le petit monde en villégiature. Tout autour, les hommes sont en costumes foncés, seuls ou en petits groupes, les femmes en robes légères s’affairent sans ne presque rien faire, quelques animaux attendent le chemin du retour. On ne distingue ni visages ni mains, mais l’on sait que s’y joue quelques mondanités aussi mystérieuses que désirables à cause de la présence monolithique des cabines. Elles ont la forme et la stabilité de stèles éternelles où mille générations ont sacrifié aux dieux. C’est eux qu’observe Boudin, eux dont la géométrie immaculée, chargée de sel et flottant aux vents, ordonne nos vies sentimentales.