Alina Szapocznikow  dessine comme si elle maniait un câble électrique dénudé. Sous sa main on sent le trait gigoter au gré des impulsions, mais le tout au ralenti, avec une grande et étrange lenteur, proche de l’état dans lequel on plonge quand, envouté, le monde se délite autour de soi et que toutes choses, toutes présences, et tous actes se transforment en lames souples et acérées qui entaillent le réel et le font tomber à la manière d’un zeste de citron.

Ces corps que l’artiste pèle sont autant de fleurs, de femmes et de filles, de morceaux de chair et d’os dont les lambeaux tombent au sol et creusent des sillons qui deviennent des ravins où s’écoule mollement le jus mi saint, mi malade, de l’existence humaine. Aucun pessimisme ni cynisme dans cela, Alina Szapocznikow  éprouve sans fard une certaine empathie, un abandon volontaire pour l’effondrement. Son dessin accompagne la catastrophe et ploie avec elle. L’agitation qui l’anime et sa propension à se cabrer et se vautrer ventre à terre sans jamais cesser de frétiller fait aussi partie de cet acceptation du mal. Ces dessins, qu’ils semblent représenter un gros intestin distendu par les excès d’un régime alimentaire gargantuesque, ou un lit de pétales printaniers accueillant les émois d’une sexualité totale et purement jubilatoire, rien ne cherche à en cacher la teneur.

Jamais – presque jamais –, l’artiste ne regarde pas dans la direction de l’observateur. C’est lui doit prendre les devants face au théâtre qui se dévide sous ses yeux. C’est lui encore qui court le risque de voir sa propre ceinture abdominale se dénouer et se répandre entre ses jambes. C’est lui encore qui en jouira, c’est lui qui en rira.