L’usage veut que l’artiste se charge lui-même de ses réalisations. La sobriété du procédé évoque dans l’imaginaire un cérémonial précis, comme une méditation sans sueur ni bruits mais chargée de silences et de désir pour la surface qui va recueillir l’acte du peintre.

Or l’imaginaire procède de la curiosité et vient se coller à tout ce qu’il approche, recouvrant choses et pensées d’une fine pellicule de buée moite et grasse où viennent irrémédiablement s’agglutiner les poussières qui surnagent dans l’air. L’imaginaire est cette vapeur issue de la cuisine de notre for intérieur quand nos sens et notre raison lui laissent la main. En s’échappant, son flux uniformise l’existence, il lui enlève brillance et vivacité tout en faisant émerger des traces sans elles invisibles qui exige de nous d’inlassables corvées de chiffon.

Après nettoyage apparaît la peinture de Niele Toroni. Elle scande son support de deux manières. Soit en niant la possibilité d’un centre de gravité, soit en y créant un. On pourrait croire ces deux façons contradictoires, mais elles sont parfaitement cohérentes : les empreintes de pinceau participent à un programme dont les actions ponctuelles jouent en permanence du dilemme entre poursuivre et arrêter, s’offrir d’un seul coup et se prolonger ailleurs. Les empreintes de pinceau sont individuellement une fin en soi, mais elles sont prises dans un système qui leur interdit de prendre part à quoi que ce soit d’autre, et qui, presque amnésique, se réitère encore et encore dans la suite des différences qui les constituent. Ce que nie l’imaginaire, qui veut en faire le support de symboliques circonstancielles auxquelles se raccrocher et qui y parvient systématiquement quand le temps lui est laissé pour accomplir son œuvre. C’est de là que viennent les idées de cérémonial, de méditation, de silence et de désir. Sous leur pellicule poisseuse se trouvent les traces laissées par le peintre.