Un homme casqué roule sur lui-même en pleine rue. On le voit évoluer face au bitume. Allongé, se mouvant avec élégance et régularité aussi rapidement que possible, il circule ventre à terre dans l’espace urbain à la manière d’un livreur, sans jamais s’arrêter ni prêter attention à ce qui l’entoure. Sa gestuelle répétitive le mène de rue en rue, dans un parking d’où il ressort après avoir pris un ascenseur, descendu les marches d’un escalier en direction d’un parking désert, le tout sans que jamais rien ne semble étranger à sa façon de se mouvoir. Pourtant tout autour de lui fait obstacle ; ses jambes allongées ne passent pas dans l’encadrement des portes, monter les escalier lui est impossible, le nez dans les gaz d’échappement et dans les pipis de chat, la ville toute entière crie le mépris de son handicap. Or celui-ci n’est pas qu’un protocole, il est un conditionnement.

Les objets qui lui font obstacle sont tous ceux que l’on évite de toucher du doigt et que lui doit affronter du bout des lèvres. À cette hauteur on ne les reconnaît plus. Était-ce une jante, la ferraille d’une chaise de jardin noircie par le feu de paille que l’on a allumé pour la faire disparaître ?

Dans ces déambulations les centres ville ont disparus, phagocytés par la nécessité d’aller plus vite et partout. La cité s’est faite périurbaine et ses nouveaux quartiers sont à la fois son passé et son futur. Les gravas polis par le roulis conservent les traces du passages de cours d’eau aujourd’hui détournés de leur lit par l’accumulation plâtre et de morceaux de ciment. Bien qu’à demi asséché ils envahissent les esplanades et en font des zones humides et marécageuses d’où aucun écoulements n’est jamais totalement possible. Les morceaux de béton qui y dressent de fiers profils ne subsistent plus que sous la forme de ruines, parfois souterraines, marquées d’illusions et de fantasmes millénaristes. Ce n’est qu’au bout du jour que les ensembles immobiliers parcourus de lumières froides, inertes et passives, s’hérissent d’une vie animale. Les biches broutent, et tant que la nuit reste au raz du sol, elles le piétinent et le tassent enfermant sous leurs sabots nos souvenirs refoulés.