On ne distingue pas très bien. De loin ce sont des vues lambda, tellement lambda qu’on les reconnaît ; leurs couleurs trop tendues et leurs sujets compassés dressent une image synthétique et immédiate, obstruant de leur évidence toute forme de regard. Une image où paissent des moments d’hivernage et qui fonctionne à la manière d’une paupière enfermant prosaïquement la fatigue derrière elle.

Cela reste pourtant vague. Tous ces endroits nous n’y avons jamais mis les pieds. De plus, les détails qui nous parviennent s’éloignent dès lors que l’on tente de s’en saisir. On s’approche, mais ce n’est rien, juste une trame en quadrichromie. Il y a, au premier plan, des fleurs, un banc sans personne, un plan d’eau. Puis en levant le regard, un vertige. Un précipice optique, tout est flou ; à deux doigts de la chute ces souvenirs construits par d’autres nous repoussent et font vaciller nos appuis. Dans la nuit bleue qui s’abat, rejeté au ras du sol, quelques brindilles s’ébouriffent. Elles tracent sous nos yeux de grands éclairs blancs figés au tungstène.

Allongés dans les gravillons d’où, il y a encore un instant, ne nous parvenait aucun bruit, notre nuque ressent à présent les formes irrégulières et pointues de ces petits rocs que les municipalités déversent uniformément au pied des plates-bandes. De là on sent le vent circuler entre les brins d’herbe et les fougères. Ces végétaux sont le seul spectacle pour les êtres inanimés qui ont eu le hasard de tomber en pleine carte postale. L’avantage est qu’ils sont verdoyants pour l’éternité même si notre vue, plombée par le vertige, se remplie d’un mercure profond et implacable. Il suffit d’imaginer, voire, de se laisser emporter par l’imagination puisque, solidement appuyée sur les documents officiels, l’histoire demande a être déroulée. La botanique des aires de ski et celle des stations balnéaire regorgent de possibilités. Seuls les pipis de chat peuvent venir fausser la donne, faisant d’une herbacée la cousine d’une mousse et de celle-ci un fond de soupe aux reflets cyan.