Sur des terres brûlées un soldat engoncé dans un épais manteau bleu regarde le passé envahir le présent. Il se tient droit, ses bottes sont solidement enfoncées dans le sol. Partout autour de lui, puis, plus tard, au-delà de lui, s’étend un paysage qu’il ne comprend pas mais qui prend racine dans ses veines et engorge d’orge et de blé sa jeunesse au point d’en faire un épouvantail. À ses pieds la terre grasse et noire comme un goudron se détache du sol et glisse inexorablement vers le ventre enflé du monde harassé qui le soutient. « Vole Hanneton » dit-il. Vole au-dessus de ces éboulis de l’histoire, vole par-delà la ligne de ciel rase qui annonce dès 16h les nuits brunes et basses dont se bercent les hommes.

En fouillant la cendre amalgamée on trouve de petits bûchers où repose endormie la mort : celle de Brunehilde et celle des héros germaniques, celle des bourreaux nazis et celle de ceux dont le nom put être oublié. La pluie a beau raviner de partout rien ne s’écoule. À chaque sécheresse elle s’évapore et semble s’en aller, mais toute cette eau polluée ne retombe jamais loin. Elle mouille et mouille encore la laine des habits de ce pays où les ruines désirées remplacent les fleurs inattendues. La pierre surmonte la pierre et l’odeur de la poudre sert d’interstice. Les choses séchées qu’a collées le souffle exceptionnellement gras de la guerre pèlent sans que personne ne s’en soucie. Elles forment des guenilles où d’aucuns reconnaissent la peau de leur langue et les vêtements de nuit de leurs parents.

Dans les champs plombés par d’immenses tournesols grillés dorment Les Ordres de la nuit. On les retrouve personnifiés sous une pyramide en briquettes : d’autres plaines et sous d’autres chapes. Parfois – enfin – y poussent parmi les rideaux de graminées des entrelacs de verdure où s’épanouissent de grandes coroles fleuries de couleurs froides. Cette fraîcheur, que rien pourtant ne coupe le soleil, grimpe le long de grosses tiges rugueuses. Elles poussent en plein sillon et se tordent telles des ferrailles extraites de murs en béton armé et se finissent en étincelles hallucinées et capiteuses.