L’amour n’a pas de couleur dans les souvenirs ; c’est le désir qui les colorie et donne ses variations au sentiment amoureux. Lui, est en noir et blanc comme le sont les vieilles photos et les courriers. Il est fait de lettres et de visages en prise avec une foule d’élans contraires tournoyant au ralenti au-dessus de nos têtes. Cette dynamique en expansion tend, lentement, à les désolidariser par l’élongation et la déformation des orbites qu’ils empruntent. Ils forment ainsi des corps célestes lointains revenant périodiquement dans notre champ de vision. Lorsque cela arrive, tout réapparaît, tout s’éclaircit à nouveau et se s’emplit du goût d’une évidence rose et fulgurante. Alors, le vide s’écarte, poussé par la certitude de la collision et par le souffle de l’air qui chauffe en se frottant aux cloisons érigées par l’attente à l’intérieur des fosses à doutes.

Entre temps, quand tout est loin, que seuls quelques petits point blancs clignotent, le firmament ressemble à une dentelle mitée. Mais quelle dentelle ! D’où elle se tient, maintenue parfaitement inoffensive, elle offre un visage auquel on peut donner le nom que l’on veut. Ce pourrait être Delphine. Ses lèvres et ses Moindres gestes ont une monumentalité inédite. Elles s’imposent malgré le brouhaha des échos lancés par d’autres ; toutes les autres qu’il suffit d’ignorer pour les maintenir au loin alors qu’il y a encore peu on en aurait été incapable, écrasé par les vagues mémorielles qu’ouvre et laisse dans son sillon le passage de l’amour. « Ses lèvres sont magnifiques » écrit-on maladroitement. Ces lèvres, on voudrait les embrasser, leur parler et les écouter. L’incipit à la lettre galante dont on envisage la rédaction ne sera jamais connue de celle à qui elle est adressée. Cela offre d’innombrables possibilités et des nudités en grisaille de pierre tendre comme celle des portiques de cathédrales tel qu’on les percevait avant leur ravalement.

Sans empressement, le vide permet de songer à ce que la vie est devenue. Sans toi, la pensée s’étire telle une longue vidéo dont on ignore la durée et par laquelle on se laisse emporter, nonchalamment bordé de piques désirantes tressaillant au cours de notre rêverie. Au passage, alors que presque tout a été inventé et que parfois ce qui nous semble authentique s’avère dérobé à d’autres, passent des figures connues.