Hernan Bas peint comme l’on assemble des patchworks. Il juxtapose de petits tessons de couleurs que parfois il décide de broder. Ce faisant il dresse de grands couverts où s’agacent comme à l’américaine des groupes de jeunes hommes brillants et nonchalants, le plus souvent à demi nus, luisants et tout sourire, ravis d’avoir beaucoup transpiré. Leurs corps néanmoins gringalets accusent l’adolescence qui en eux s’est attardée. On les voit, rompus par la lassitude, à l’ombre de grands buissons. Ils s’y dédaignent et évitent soigneusement de se regarder les uns les autres de même que sur les tables ramollissent les cartons de pizza amoncelés. Ces jeunes gens paressent et mangent. Parfois ils semblent travailler, ou tout du moins s’occupent du service. L’indolence inquiète qui les habite crispe leurs maxillaires ce qui leur donne l’air de sourire alors qu’il n’en est rien.

Au loin, dorment d’imposantes villas assises sur la fraicheur que conserve jalousement les stores descendus aux fenêtres. De là-bas rien ne parvient sinon l’idée précise que les guéridons sont occupés par de vastes bouquets de fleurs coupées fondus dans l’imbrication des détails qui fourmillent dans le nouveau monde. Leurs motifs fanés dessinent dans l’espace l’illusion de l’Europe. Il n’y a pas d’adultes.

La douce luminosité qui habite cette jeunesse est la même que celle que l’on retrouve dans la peinture Nabi. Mais ici les couleurs sont plus franches, la flore n’est pas la même. Partout la végétation luxuriante se répand et tend à combler par de jolis lieux frais et densément feuillus les quelques espaces ayant été domestiqués. Ces fleurs, qui courent et retombent en lourdes gerbes au-dessus des têtes, personne ne songe à les apprivoiser. De toutes parts elles enflent et se déploient au point de remplacer le ciel. Leurs feux d’artifices statiques instaurent une intense promiscuité au sein des déjeuners peints par l’artiste. Il en ressort un certain cannibalisme que la flore entretient avec empressement. Les gorges déployées des giroflées et saccades d’agrumes, de goyaves et de mangues salivent en permanence, comme si pour être mangées il fallait qu’elles aussi se soient repues du jus de leurs congénères.