Dans l’œuvre de Roberto Matta, la peinture, lissée et étirée à l’extrême, résonne avec la toile tenue par le châssis. L’une l’autre, elles se répondent comme les voiles d’un bateau pris au mouillage dans un épouvantable coup de vent dont les bourrasques font claquer tout le gréement.

Au flux discontinu de cette tension s’associe une certaine souplesse et une amplitude dans l’étendue des aplats de couleurs sombres dont l’artiste drape ses compositions. Celles-ci se trouvent presque invariablement prises entre les forces déchirantes des courants d’air et des vagues bandées à l’extrême, mais parfois aussi elles tombent dans un repos momentané qui permet de mesurer l’étendue de la déformation qu’a causé en elles le souffle furieux et muet des éléments sous-marins. L’océan de Roberto Matta n’est pas nécessairement vaste. Mais il est concentré tel un organisme bionique dont la permanence du mouvement sollicite les êtres au risque de les voir se déchirer à chaque instant. Ces carreaux de peau cultivés in vitro nagent dans un liquide organique que l’artiste prend plaisir à ouvrir et à disséquer pour en extraire encore battants les cœurs et les artères vives. Elles giclent, et les essences vertes qu’elles véhiculent remplissent l’espace conjonctif des chairs fluorescentes où baignent d’autres fluides aux textures visqueuses et grasses. En outre, ces esquisses pour planches anatomiques contiennent de minuscules moteurs logés entre les bielles et les nerfs nombreux qui régissent l’ensemble des sensations de l’organisme. Leur action pondère les mouvements et vient parfois réparer les dommages et l’usure des tissus. Car il ne s’agit pas ici d’en finir avec la toile. Matta n’aspire pas à voir se rompre le corps des métaphores qu’il forme dans ses tableaux. Au contraire, il cherche à les pousser à bout, à les mener au plus loin dans la stridence et le mutisme, mais sans jamais toucher au point de rupture. C’est ainsi que de la torture naît la souplesse ; souplesse qui recueille dans l’élongation de ses membres une térébenthine vaporeuse, flottante et insaisissable, retenue là pareille à de la rosée dans le calice d’une fleur ayant souffert la nuit et bientôt le jour.