Près d’un bras mort du Rhône, sous les sédiments récents de l’activité industrielle, reposent les fondations abrasées d’une vie lacustre mangée par l’acidité des eaux.

Partout, dans le calme et les brumes, les couleurs y précipitent. Elles s’épanouissent en de fragiles récifs portés par la mobilité des eaux. Leurs jus, associés à la chimie des hydrocarbures, donnent à l’essence le goût du sucre. Teintes et demi-teintes s’entremêlent et produisent, au gré du mélange des heures du jour, d’audacieuses et impromptues iridescences comme en laissent après la pluie les flammèches de barbe-à-papa tombées sur l’asphalte des fêtes foraines. Sur le sol taché de bleus et de verts brisés se déploie parmi les reflets menthe dans lesquels s’enfonce des marbrures d’amande qui, par ses franges, s’associe aux roses et se dégrade au milieu des fuchsias, des framboises et des fraises enrobées d’abricot.

À la bordure des bassins de décantation émergent de petits monticules d’une trentaine de centimètres de haut qui semblent avoir crevé le sol et, à travers lui, des poches dont l’éclatement a formé de nombreuses coulures. Ailleurs, les courants ont abandonné d’autres fragments, d’autres roches délavées que l’eau qui s’est retirée a piqués sur des branchages enchevêtrés. La stridence de ces concrétions, formées pour certaines d’amas de bonde d’évier et d’autres de gravas, est patinée par les algues et les mousses qui se nourrissent des phosphates déversés avec eux. On trouve aussi des morceaux de mosaïque ramollie. L’action des solutions flottantes en a transféré plusieurs fragments sur les parois de ciment et de plâtre jadis utilisées pour combler les fosses ouvertes par les pelleteuses et les orpailleurs. À la merci des courants qui s’y sont infiltrés, leur surface s’est plissée, façonnant par endroits des bassins de rétention où s’est lentement dissout le sens ancien des motifs qui les ornaient. À leur place s’est créée une vie sulfureuse, draguant au gré des reflux aquatiques mille merveilles végétales en provenance des exploitations alentours où la pollution toxique, chargée de mirages, transforme la perception de toutes choses et toutes fins en illusions.