Passage intime est la création d’un lieu. Un lieu inachevé qui trouve sa complétude dans le franchissement qu’opèrent sur lui les personnes. Il s’agit d’une double courbe de verre que l’artiste a positionné parallèle l’une à l’autre sur un petit promontoire. Tel un entonnoir, ce passage se rétrécit puis s’ouvre à nouveau sur la distance de quelques mètres.

Il se pénètre physiquement, mais aussi par le regard que l’on peut longuement laisser parcourir les surfaces réfléchissantes avant de l’engager à l’intérieur. D’autres peuvent s’aventurer avant, d’autres après ; la question est, comme souvent dans ce type de situation, de choisir son moment. En cela l’œuvre tient du rite initiatique social. Sauf que l’épreuve ne contient aucune difficulté en soi. Il suffit de passer d’un bord à un autre. Cela s’opère en quelques secondes durant lesquelles l’environnement se reflète comme dans un ascenseur de bureau moderne. Ce qui nous entoure se déforme puis sort de notre champ de vision en une queue de comète descendante que l’on perçoit à peine tant la durée de l’épreuve est brève. Cette trivialité n’en est pas moins chargée de sens. Elle puise sa raison d’être dans le face à face au monde qui, à toutes époques, a exigé un pas en avant à ceux qui n’étaient pas forcément prêts à le faire. Un simple pas qui une fois effectué, n’était immédiatement plus rien et se transformait en simple formalité. Nos vies sont remplies de ces premières fois, de ces arcs de triomphe que l’on s’érige en songeant aux frontières passées devenues esplanades de trivialité.

Cependant, en confondant l’entrée avec la sortie, l’œuvre de Dan Graham déjoue l’idée d’une progression. In fine, le passage conduit à une situation similaire et pratiquement en tous points identique à celle que l’on connaissait avant de s’y aventurer. Ainsi, la monumentalité de l’œuvre et son exigeante situation au milieu de la pièce introduit une autre dimension, celle de l’attente déçue et de l’usure de la contemplation. L’agacement fait partie du rite initiatique proposé par Dan Graham : on est face à lui comme face à un miroir insensible, à la recherche de quelque chose de plus là celui-ci propose quelque chose en moins.