Les visages d’une ville appartiennent à ce qui les observent. Ceux que présente My Buenos Aires soufflent entre deux Tours. L’une et l’autre ont une même allure de pyramide à degrés étirée vers le ciel. Celle de Roberto Aizenberg (1978) a ses fenêtres verticales ouvertes sur le vide d’une lumière jaune orangé suspendue dans l’immensité d’une fin de journée dramatiquement belle et chaude ; celle de Max Gómez Canle (2010) est posée dans un paysage repris par le pouvoir de la nature, elle n’a pas de fenêtre, ses habitants ne la voient pas, ils sont calfeutrés à l’abri du bucolisme printanier et matinal qui règne dehors.

Aux pieds des tours, dans les rues et les avenues de la ville passe la Caravane d’Ana Gallardo. Une vidéo la montre tirée par un vélo qu’aident de part et d’autre deux personnes poussant le véhicule au milieu de l’impassible circulation. Lentement, sans point de départ ni d’arrivée, la caravane faite de mobilier assemblé progresse. Elle est à l’image de l’exposition où tout donne l’impression avoir été recyclé. Les objets ne sont jamais neufs, ils semblent avoir été toujours en route. Immuables et indispensables ils survivent aux événements et même détruits ils sont reconstitués. Les Sculptures cachées de Diego Bianchi sont nichées derrière les parois de plâtre de la scénographie, le chaos apaisé de Martín Cordiano et Tómas Espina pousse à l’extrême la permanence du souvenir tangible et matériel du quotidien comme si celui-ci ne pouvait être autrement qu’indéfiniment au présent. Ce sont milles chose auxquelles on accède par des orifices ménagés dans le progrès, tels les bondieuseries de León Ferrari, solidement ancrées dans son grille-pain et son mini-four, dans tous les gestes plus banals de la ménagère, ou encore dans son tableau de chasse pour dératiseur de touristes fait de tapettes à rats broyant des cartes postales de la ville.

L’exposition s’achève sur une sculpture de Marina de Caro – Potencia de existir –, une céramique chameau à six pâtes. Toute en jambes lourde, elle tient son être recourbé et sans forme sur des pots vernissés que font briller la lumière du sous-sol. Sa blancheur est éclatante. Elle étire la sculpture par la peau du cou. Tel un chat soulevé car pris la patte dans un pot de confiture.