Le premier voile est presque impossible à dépasser. On cherche à le contourner, à ne pas se prendre le mur. Mais on se laisser frôler, frémir à son contact.

Il glisse le long de nos épaules sans résistance, lourd et long à se retirer. Dès le premier instant sa présence pendante nous enveloppe sans que l’on puisse totalement être contenu en elle. Tels des mirages elle happe et soulève l’espace que l’on découvre à la manière d’un champ rempli de grands draps séchant à l’air de la nuit. Ainsi, tout au long de l’expérience que produit l’installation d’Emmanuel Guillaud il y aura toujours quelque chose derrière. Derrière, où d’autres pans obscurs barrent la route à des silhouettes masculines qui, elles aussi, s’enfuient.

Les hommes disparaissent dans des villes à peine éclairées, bordées de haies et d’arbres que longent des bâtiments modernes. Les grilles qui les accompagnent, les poteaux électriques et toutes les portes sont percés par les sources lumineuses qui se cisaillent en de multiples morceaux impossibles à recoller. Le regard qui les transperce à présent se répand derrière elles avec perte, franchissant l’obscurité moite d’un pas hésitant, les mains enfouies dans les poches de son pantalon. Les images bourdonnent légèrement. Elles appellent des gestes imprécis. Même ragaillardi par la sensualité inespérée des tissus, le désir continue à patienter. Là où il baigne les choses vont trop vite pour lui, à peine envisagé chaque moment se confond dans le suivant, les corps ont permuté et ne se trouve plus qu’un tronc lorsque l’on comprend enfin. Ne reste que l’écorce encore chaude, mordue par l’ombre noire d’un panneau publicitaire que franchissent d’autres passants et, à présent, d’autres passantes.

La marche reprend, sans patience. Progressivement la perception des choses s’adapte. Dans la ville revenue à elle, les passants se font plus nombreux et la lumière retranche un à un les coins les plus sombres.