Dans l’espace blanc d’une page, trois paragraphes en drapeau engagent une conversation. Prenant forme, ils dévoilent les prémices d’une digression qui dure depuis cinq ans.

Un texte que n’accompagne aucune image y est appliqué à la manière d’un négatif sur une boite lumineuse. À mesure de la lecture, que l’imagination s’installe entre les mots, la surface se fait de plus en plus profonde. On s’y enfonce. Bientôt ne subsiste du vernis original que la sensation collante et envahissante de ne pouvoir se dépêtrer d’un souvenir. Un souvenir qu’il faut sans cesse éplucher dans l’espoir d’en atteindre le cœur. Tel un fantastique plat d’artichauts, le sujet du texte superpose les entrées jusqu’à tisser un réseau d’impressions redondantes où se perd la mémoire à force de rebonds sur les millions de miroirs qui en composent les corolles charnues de bractées. À chaque bouchée, trempée tantôt dans une vinaigrette, tantôt dans de la mayonnaise à l’ail, les sentiments et les expériences dont découle le texte se remodèlent, parfois, sans que l’on s’en rende compte, se dédoublent et créent des paires qu’il n’est ensuite plus possible de distinguer. Ils prennent même de l’avance, creusent dans notre palais des attrapes-couillons où font de fausses voies les idées qui semblent un peu trop sûres d’elles.

Là dedans, les choses ne sont jamais ce qu’elles sont, bruyantes et simulacres, elles jouent au passe-muraille avec les expériences que l’on croyait réelles. Or cette réalité sagement empilée se trouve minée. On y entre sans difficultés. Les galeries qui en font un gruyère sont séquencées d’une infinité de portes que l’on pousse et qui se resserrent après notre passage, mais ne se referment jamais. Œuvres est un fromage à pâte molle servi sans couverts. Il faut y mettre les doigts. C’est à cette condition que l’on peut se laisser prendre. Engluées, les perceptions et leurs plaisirs tombent de leur socle. Elles roulent à terre et charrient avec elles tout ce qu’elles s’y trouvent : poussière, lambeaux de vieux papiers, bâtons, feuilles et végétaux variés, ainsi que tout ce que le temps élude, laisse de côté par souci de clarté et par peur du trop plein, tout ce qui s’oublie, tout ce qui salie.