Une scène de chasse montre un cheval acculé – mordu par une horde de loups enivrés bondissant de toutes parts le corps déséquilibré de la monture est sur le point de renoncer. L’histoire se termine ici, en plein xviie siècle. Celle qu’entame Julien Des Monstiers est d’un autre ordre. La mort de l’équidé a justifié le bourgeonnement de l’image. Elle bave, sa surface est abîmée, elle cède, se déchire et ne peut plus contenir l’écume colorée de ses couches picturales. En s’ouvrant, la peinture redouble la morsure des loups et fait apparaître les strates sous-jacentes en action. Ainsi percent des rouges vifs, des noirs cadavériques, des traînées blanches et un vert printanier – autant d’évocations végétales d’un cycle qui mène de la vie à la vie. L’action de la peinture est à ce titre pareille à celle de micro-organismes, on les reconnaît à leurs couleurs, aux auréoles qu’ils forment et à leurs circulations que l’on devine guidées par la digestion des jaunes, des ocres, des verts et des bleus alors qu’elles colonisent l’image. Tout cela forme un compost splendide.

Les fleurs peintes par l’artiste ont subi le même traitement. Elles ont été gavées, puis écorchées comme l’on vide une volaille, saisissant ses entrailles pour les extirper à la manière d’un bouquet mou et encore chaud de matières colorées. La présence de grains non digérés dans le gosier cause des amas jaunes qui éclatent à l’approche du couteau. Tout en raclant les membranes, il lui faut prendre garde au fiel, tout détacher, séparer les abats, les préparer, mais ne jamais percer la poche d’amertume. Une fois tout fini, reste sur le tableau les traces du travail.

À son paroxysme, l’activité réciproque de la floraison et de la dégradation s’annule. L’irritation qu’elle crée à la surface de la toile en fait un miroir où plus rien ne peut durer. La peinture colle à l’idée de peinture. Deux issues sont alors possibles, l’une est la formation d’énormes cicatrices lisses et rondes prenant l’aspect de grosseurs bombées et dépolies. L’autre issue est à l’opposé, la matière s’est raréfiée, mais l’image trop usée a laissée place à un écho, celui du dos du châssis. Peint aux dimensions de la toile, tendu par des clés et ostensiblement marqué par la croix que forment les entretoises, il suggère la possibilité d’un retour à la peinture appelé et suggéré par les bords tendus de la toile encore vierge, prête à tout recommencer.