Plus tard – Bien après. Alors que le calme s’est installé, que le cristallin des eaux s’est mêlé aux hydrocarbures, fixant les méthanes pour former un lagon, des ruines lavées de tout souvenir ont émergé. D’elles, ne subsistent que le minéral et l’aquatique. Les planchers et les peintures, les charpentes et le mobilier n’existent plus, ou alors, méconnaissables, ils se sont agglomérés et pétrifiés dans le jus des solvants turquoises qui donnent leur couleur aux abysses creusées par le déluge. Au milieu de la prairie salée qui a remplacé la ville culminent plusieurs édifices en béton. Ils ont été dépouillés de leur fonction. Ces formes dégagées par miracles du continent pangéen sont caressées par un ruissèlement de plâtre figé dont les gouttes, lorsqu’elles tombèrent, formèrent des concrétions, des splash immobiles.

En leur creux pendent les laies d’un antique papier peint. Les fantômes de formes nuageuses se combinent sur les murs aux rares endroits préservés de la blancheur inflexible qui a rasé presque la totalité des surfaces du monde. Les traces d’un âtre se sont solidifiées sans pour autant perdre leurs formes et leur lumière. Les impacts criblent encore, et lorsque tombe la nuit, celle-ci se fait totale et sans raison. La structure du bâtiment ancien s’est fichée dans le sol, elle l’empale de part en part. Mais nulle cicatrice ne s’est dessinée à leur rencontre, les mâchoires ont fait corps avec les parois, elles y reposent comme si elles étaient endormies en eux depuis longtemps.

Sur une toile, prises dans le filet d’un chalutier titanesque, apparaissent les réminiscences visuelles d’un pavillon de banlieue. Elles ont dû rester bloquées, comme reste bloqué en poche d’air l’ultime souffle que laissent s’échapper les noyés dans leur cabine. Et à présent que le dégel est amorcé, que les courants d’air poncent la surface vitreuse des blocs émergés, elles refont jour.