Discrètement, bien qu’ayant reçu toutes les précautions pour ne rien laisser paraître, la peinture d’Emil Klein porte à sa surface le labeur de son processus de création. Plus encore qu’une trace ou un signe, c’est en tant qu’épaisseur qu’elle recouvre et occupe la toile. En superposant les couches jusqu’à satisfaction, l’artiste fabrique un feuilleté combinant en une même pâte tous ses essais. Seul l’ultime passage est visible, mais à fleur les sous-jacents s’expriment par écho. À de nombreux endroits on les devine, et avec eux les doutes et les trouvailles ; toutes ne sont pas conservées, pourtant, dans le braille de la matière subsistent les petites joies qui émaillent la pratique de la peinture quand, parfois, apparaît un instant de justesse.

Les formes qui restent – quelques lacets dénoués de lignes bleues – pourraient être des moments de topographie. Elles dessinent sur des fonds blancs des zones précises composées de lignes droites et d’espaces mous, souvent en goulot, qui jamais ne s’arrêtent en chemin. Les boucles sont toujours refermées et répondent subtilement à la géographie du tableau. L’œuvre finie met en tension l’animalité de sa peau avec la simplicité de ses motifs. Ainsi, les tracés de l’artiste sont autant les vainqueurs du combat que se livra à elle-même la composition, que l’ultime accident d’un processus long et lent, s’étant arrêté sans avoir dit son dernier mot.

Peut-être est-ce pour cette raison que la connivence entre les tableaux présentés par Emil Klein est aussi importante. D’un seul tableau Emil Klein aurait pu en produire douze, mais la réciproque ne fonctionne pas, des quatre qu’il présente il n’aurait pu en faire qu’un. Tout quatre semblent être issu d’un unique processus, une arborescence dont ils seraient les sauvegardes d’un certain nombre d’étapes intermédiaires. On songe à l’évolution du lit d’une rivière. Le sens du cours de l’eau ne change jamais, sa destination comme son origine est fixe, mais allant de l’un à l’autre le chemin change au fil du temps. S’asséchant pour renaître ailleurs, il laisse les traces de sa vigueur se recouvrir de poussière quand, plus loin, le courant l’a entrainé.