Les dessins de Stephen Schultz sont exécutés sur des morceaux de drap de lin, du type que l’on n’utilise plus aujourd’hui, mais que l’on trouve, plié, dans les armoires de certains grands-parents soucieux de ne rien jeter. Pour certains, ils les tiennent de leurs propres grands-parents, d’autres, du trousseau de leur mariage. En leur temps, ces parures furent les lieux de leurs ébats. De ces draps naquirent leurs enfants.

Ces étoffes décaties par la multiplication des lavages subits sont aussi des lieux de rêves et de cauchemars. Dans leurs plis elles contiennent des histoires de serpents gigantesques, de foules compactes et muettes, scènes lointaines chargées de survivances et de visages qui, bien qu’identifiables, s’avèrent parfaitement neutres et interchangeables dès lors que l’on s’attarde à les observer. Le tracé des dessins de Stephten Schulz semble limpide à première vue, mais plus on s’approche et plus on observe, plus il s’emmêle de complexités inattendues. Les personnages, dont de loin on aurait immédiatement cerné l’état d’esprit, deviennent avec l’observation d’inouïes et fascinantes nébuleuses dont même le sexe se perd. Tels des écheveaux maladroitement pelotonnés, ils accrochent et piègent le regard dans d’innombrables chemins secondaires.

Dans ces rêves, les êtres deviennent des buffles et ces buffles ressemblent à des humains. On se les souvient seuls et diaphanes, ils marchent dans des paysages sans horizon ni cloisons, des salles de bal, des forêts, sur la plage. Ces espaces sont des archétypes qui nous hantent comme nous sommes hantés par les jingles des publicités les plus efficaces. Ils apparaissent sans que l’on ne les ait demandés. Et on les reconnaît à ce qu’ils sont bancals, jamais aussi francs que l’on voudrait qu’ils soient. De toute manière ces endroits sont presque nus, franchement dépouillés, et tout ce qui y advient est entrelacé dans le crachin des coups de crayons qui retissent tout ce que les nuits ont fini par user.