Enfoui en fond de jardin, entre les bacs de bégonias, les buissons de bambous et les demeures en meulière, le Centre Albert Chanot ressemble à une piscine municipale. Vestiaires, pataugeoires, baies vitrées et lumière artificielle, mais nul bassin ; l’espace est occupé par un centre d’art.

Tout dans le travail de Thomas Levy-Lasne coïncide avec les alignements de petits carreaux et les dénivellations hérités d’une conception récente mais déjà désuète du bâtiment. Les protagonistes des Fêtes qu’il dépeint y retrouvent les cours de natation de leur enfance. Filles et garçons que l’on découvre à demi nu, enivrés par l’injonction sociale, presque d’ordre moral, de s’amuser, perdent leurs atours et leur insouciance dès lors que l’on peut les imaginer en rang d’oignons, face à l’eau et en slip de bain, prêts à se jeter un mercredi matin de trop bonne heure. Les cotillons se mêlent alors aux flotteurs de lignes et, dans un grand brouhaha de clapotis, chacun s’agite pour atteindre l’autre rive. Les gestes parfois incongrus, les mouvements chaloupés et les pas de danse esquissés pour ne pas montrer que l’on a bu la tasse chahutent joyeusement. Toute posture est histoire de flottaison ; faut dire que dans ces moments-là il arrive que l’on crâne un peu quand, arrivé en tête au bout du 50 mètres, chipant la dernière place du podium à cet idiot de musicos, on arbore un beau sourire tout essoufflé.

Tout près de l’escalier, accrochée bas comme si elle avait été installée à cette place après mille et un remaniements dans l’agencement des panneaux d’information à destination des parents, la grande toile Couple #2 achève d’organiser le panorama de proche banlieue qui se joue dans cette exposition. Lui fait une sieste allongé dans le canapé, elle, à ses côtés, travaille à l’ordinateur posé sur la table basse. Sans être inconfortable, leur appartement est trop petit. Reste la possibilité d’une ballade en Forêt. Compiègne, Meudon ou Fontainebleau en plein novembre, tel est l’autre versant des week-ends quand on n’a pu trouver de baby-sitter. Sortie des grandes artères balisées, la profonde ornière qui fait office de chemin s’enfonce en ligne courbe entre les arbres. Au sol la boue se mêle aux feuilles pour effacer les traces trop répétitives laissées par les marcheurs. L’absence d’horizon, piqué par les banches hautes qui ferment presque totalement l’ouverture sur le ciel de glace, conforte le rythme soutenu des pas qui progressent. Si les jambes ou le regard s’arrêtaient l’humidité trouverait le moyen de s’agripper aux vêtements.

Dans l’environnement des classes moyennes et cultivées, la bourgeoisie continue à se faire portraiturer. L’habitude avait été prise deux ou trois générations auparavant. Depuis, on y a pris goût, cela rappelle les Vacances sur la côte. Thomas, Laetitia et Aurélien, allongés sous le ciel laiteux d’une plage non méditerranéenne, ou bien debout, en débraillé sur fond uni, racontent les années qui passent plus vites quand la vingtaine commence à toucher à sa fin. La suite de ces petites histoires contient entre autre, un Boucher Chevalin, un Coquelet, un Châtron, et puis plus loin, Lucie au lit. Cette dernière s’ennuie négligemment dans la pénombre d’une chambre aux draps défaits par la nuit qui s’éternise. La lumière y pénètre à peine ; elle dessine sur le mur une projection géométrique oblique formée par les volets à demi clos. Repoussée sur le côté du lit, l’épaisse couette, d’un bleu passé, laisse le corps fatigué de la jeune femme se charger des premiers rayons de soleil. Il reste probablement encore trois bons quarts d’heure avant que le premier café achève de réchauffer Lucie.