Sur un mur, trois imposants cadres blancs contiennent des polaroïds par rangées entières. Ils ont été soigneusement alignés puis collés par Unglee. Côte-côte, comme des vignettes d’album Panini, les tulipes se succèdent à la manière de chronophotographies, décomposant un mouvement pratiquement inexistant. Entre la première et la dernière image, la différence, bien réelle mais infime, se mesure à l’aulne du désir inassouvi de l’artiste pour les fleurs coupées. Cette obsession photographique il s’y adonne manuellement, photographiant sans relâche ses tulipes avec l’œil louche de l’homme qui ne se cache plus pour se livrer au plaisir méthodique du cadrage et de la composition. Un plaisir calme et déterminé, mais sur lequel déborde presque invariablement le vide compulsif qui précéda l’image vacante.

Les mises en scène qu’il prépare pour ses tulipes sont d’une grande simplicité. Ce sont les fleurs seules qui l’occupent, prisent sous les divers soubresauts de son regard écarquillé. Les Flammes immobiles se contemplent comme les plis d’une jupe renversée par l’action d’une balancelle ; les Identités, surprises par le flash glacé de l’appareil, réveillent des souvenirs de portes entrebâillées et de trous de serrure ; les Éludiennes se considèrent à l’arrêt et sur le point de perdre son sang-froid face au fait accompli : combien de secondes reste-t-il encore avant qu’il ne soit trop tard pour fuir ?

Cet homme est décédé. Plusieurs fois même. Ses avis de Disparition ponctuent le tableau de chasse naturaliste de l’exposition. On y découvre romancés les éléments épars d’une vie d’artiste bercée de vague à l’âme et de déterminisme pour son amour de la botanique. L’empathie douçâtre qui se saisit de l’observateur à la lecture de ces mots contamine les images ; à mesure que l’on découvre les avis de disparition, la connivence non-coupable pour la pulsion scopique de l’artiste s’éloigne : la pulsion d’Unglee ne saurait être la nôtre, elle se dérobe sous nos mains, insaisissable, comme les bulles de savon soufflées par un enfant.